DRIVE ME HOME [PAUSE]

Chapitre 5

Il fallait que je sorte d'ici.

Je ne reconnaissais plus la maison dans laquelle j'avais grandi, je ne reconnaissais plus les gens qui m'avaient élevé, ceux que j'avais appelé "maman, papa", ceux qui m'avaient appris à marcher, à parler, à faire de moi celle que je suis maintenant.

J'avais vécu sous un foyer basé sur le mensonge. Cette famille n'était pas ma famille, le sang qui coulait dans mes veines, qui me maintenait en vie, n'était pas le leur. D'ailleurs, je ne savais même plus si j'avais vraiment du sang qui ruisselait en moi. Étais-je même humaine ? Je n'appartenais même pas à ce monde.

Soudain, ma tête se mît à tourner. Mes paupières se mirent à battre très rapidement. Je ne me contrôlais plus. J'étais en train de m'évanouir.

- Retenez-la ! entendis-je crier Sue.

Sa voix me paraissait très lointaine, mais son cri me "réveilla".

- Que, que s'est-il passé ? balbutiai-je.

J'étais allongée au sol, la tête sur le tapis.

- Tu as eu un moment de faiblesse, expliqua Vyctor.

C'était normal après tout ce que j'avais dû encaisser en une journée.

- Il faut que tu te reposes, chérie.

- NE M'APPELEZ PAS CHÉRIE ! hurlai-je.

Tout le monde avait sursauté.

Je n'étais plus moi-même, celle qui avait crié n'était pas moi... C'était... Une autre. J'étais en train de changer de personnalité.

Ma mère se remit à pleurer dans les bras de mon père.

- Skay... susurra Vyctor. Calme-toi.

- Non, je ne peux pas me calmer. Je ne veux pas me calmer. Je ne dois pas me calmer. Non.

Sue m'attrapa alors par la main et m'entraina en dehors de la maison.

Nous marchâmes un instant en silence.

Soudain, je me mis à éclater en sanglot.

- Skay ! Ne pleure plus, dit Sue.

Elle me prit dans ses bras. Elle sentait délicieusement bon. Un mélange de fleur, de miel et d'herbe fraîche.

- Je n'en peux plus, Sue ! me plaignis-je.

- Je sais, ma belle, que c'est dur à encaisser. Mais tu peux le faire. Tu es forte. Tu es la fille du roi Francis. Tu es la princesse de ton monde. Tu es la prochaine à accéder au trône. Mais, avant cela, il faut gagner la guerre. Et nous avons besoin de toi.

Un peuple entier avait besoin de moi. Je devais les aider, si vraiment j'appartenais à leur communauté.

Je séchai mes larmes.

- Sue ? demandai-je.

- Oui, Majesté ?

- Penses-tu que je vais aimer mon... vrai père ?

Sue sembla réfléchir un instant.

- Tu apprendras à l'apprécier, Skay. Le roi Francis est un homme froid, dur, qui s'est endurci depuis la mort de sa tendre épouse, mais il est aussi un homme bon, à la tête d'un peuple qui ne jure que par son nom, courageux, et excellent dirigeant des armées et stratège.

Malgré cela, j'avais peur. Je n'avais à vrai dire jamais eu aussi peur. Mais je devais y aller. Pour un peuple entier, c'était une question de vie ou de mort.

***

Le lendemain matin, nous partîmes, Sue, Vyctor et moi, à bord de la Ford grise de Vyctor.

J'avais dit au revoir à mes parents. Je ne savais pas s'ils allaient me manquer. Nolan, mon frère, allait me manquer, c'était sûr. C'était un adorable enfant. Et Kat aussi. Je lui avais dit que j'allais en pension, mais qu'elle pouvait me joindre à tout moment. J'avais peur que cela s'avère faux.

- Vyctor ? demandai-je alors que nous sillonnions des routes arborées par lesquelles je n'étais jamais passées auparavant. Où allons-nous ?

- Au portail, répondit-il. La porte d'entrée au monde 160.

- Et, où c'est ?

- C'est partout et nulle part à la fois, dit Sue.

Voyant que je ne comprenais pas, Vyctor m'expliqua:

- Le portail peut être n'importe où. Pour cela, il suffit de réciter une sorte d'incantation magique. C'est un peu compliqué.

- Mais alors, si l'on peut se "téléporter" n'importe où, pourquoi prendre la voiture et rouler pendant une heure ?

- Bonne question, Skay, répondit Sue. C'est parce qu'il faut éviter de se faire repérer par des Stups. Les Stups sont des créatures de l'Enfer, créées par la Magnanime, qui est à la tête du monde 666.

J'avais encore beaucoup de questions, beaucoup de choses à savoir. Je voulais être prête, et pas complètement ignorante quand j'arriverais dans ce monde.

- Comment le monde 333 et le monde 666 sont entrés en guerre ? demandai-je.

- C'est très complexe. Tout d'abord, avant la Magnanime, sa mère était au pouvoir. Sa fille voulait s'emparer du trône, alors elle l'a assassinée. Quand elle fut à la tête du pays, la Magnanime n'avait qu'une seule idée en tête : s'emparer du flacon de Jouvence Eternelle, qui est conservée, cachée, dans le monde 333. Même le roi Francis ne sait pas où il se trouve, mais il sait que son devoir est de le protéger. En effet, un jour, il fit un rêve étrange, qui ressemblait à une prédiction. Dans son rêve, quelqu'un, quelque chose, on ne sut jamais, lui disait de protéger le flacon, et que la personne à qui ce flacon est destiné le trouvera naturellement. Ce qui, tu t'en doutes, n'est absolument pas le cas de la Magnanime.

- Pourquoi veut-elle absolument s'emparer du flacon ?

- Ce flacon, en plus d'apporter l'immortalité, aurait la possibilité de rendre une personne invincible et très puissante.

J'avais l'impression d'être dans un livre, et d'en être un personnage. Tout cela me paraissait si... fantastique, magique, fantaisiste. Impossible.

Après quelques heures de routes, Vyctor se gara dans un bois sombre.

Le bois était vraiment effrayant, les rayons du soleil étaient bloqués par les arbres feuillus et la température y était beaucoup plus basse.

- Brrr, c'est glauque ici, dis-je en claquant des dents. C'est là que nous allons nous téléporter ?

- Évite d'utiliser ce terme, dit Sue. Ce n'est pas de la téléportation, c'est de la transportation magique. Nous n'allons pas nous transporter d'ici, l'extérieur est trop risqué. Non, nous allons le faire à l'intérieur de ce manoir.

Elle pointa du doigt un toit en bois qui surplombait le bois. Nous avançâmes le plus silencieusement possible "pour ne pas nous faire repérer".

J'ignorais pourquoi, mais j'avais la sensation horrible, terrifiante, d'être suivie et surveillée par des dizaines de paires d'yeux...