9. 1987

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30 km de Chernobyl, Ukraine

Un an s'était écoulé depuis la catastrophe nucléaire. Les retombées radioactives étaient encore mortelles. Les scientifiques du monde entier s'étaient accordés à dire que personne ne pourrait survivre dans cet environnement sans combinaison plus de 24 heures.
Un groupe de quatre chercheurs était en ce moment-même en train d'effectuer des mesures et des tests pour trouver des solutions pour réduire la radioactivité avec des instruments et un équipement adaptés.
Pourtant, malgré l'impossibilité de survivants dans cet endroit, tous se sentaient observés derrière les volutes de nuages radioactifs qui hantaient encore les lieux, comme des fantômes qui jugeaient silencieusement tous les responsables de la catastrophe.
Alors que les différents chercheurs s'affairaient à leurs tâches, une ombre imperceptible surgit de nulle part, attrapa une victime et l'emmena au loin dans un cri étouffé.
Un cri qui effraya les trois autres, leur faisant réaliser qu'ils n'étaient pas seuls.
Dans cet environnement encore exposé à 1 Sievert quotidiennement, de rares survivants avaient réussi à s'habituer à ce climat et étaient en quête de nourriture fraîche. Des survivants oubliés par le gouvernement dont les corps avaient été mutilés et déformés par les radiations.
Les trois scientifiques restants se regardèrent, effrayés par ces évènements. Et alors qu'ils décidèrent ensemble de repartir en courant, de nouveaux cris résonnèrent dans la brume encore épaisse des essais atomiques.

*
**

Linda Franti se réveilla dans une pièce plutôt sombre. Ses yeux balayèrent rapidement la pièce mais elle constata qu'elle était attachée à une chaise et que quelqu'un lui avait retiré sa combinaison. Des pièces de viande déchiquetées pendaient lassivement à des crochets et Linda ne préféra pas penser à l'origine de cette viande. Des scies rouillées traînaient en pagaille sur une table en compagnie de tenailles plus ou moins dans le même état.
Elle s'agita frénétiquement sur sa chaise après avoir compris que les murs et la porte étaient trop épais pour que le moindre son ne passe. Après quelques secondes, elle fit basculer sa chaise et tomba au sol. La chaise se brisa sous l'effet du choc et Linda réussit à se libérer de ses liens juste avant que la porte ne s'ouvre.
Une silhouette monstrueuse se dressait devant elle, d'immondes pustules recouvrant son énorme corps. L'une de ses mains était athrophiée et il possédait deux énormes bras droits. Dans l'une des mains valides, il tenait fermement un pied de biche.
Linda hurla à la vue de ce véritable monstre alors que ce dernier se rua sur elle en grognant. La jeune femme trébucha sur les débris de la chaise, ce qui lui fit maladroitement esquiver le coup. En se relevant, sa main se posa par chance sur le manche de l'une des scies. Elle envoya un coup puissant droit dans le flanc du monstre. Il hurla en reculant alors qu'un liquide rouge coula de la profonde entaille. La scientifique eut un mouvement de recul en songeant à la douleur que cela représentait mais l'immonde créature informe ne sembla pas s'arrêter pour autant. L'agresseur leva son bras et planta le pied de biche directement dans l'épaule gauche de la pauvre victime. À nouveau, un cri retentit dans la pièce, rauque et intense. Linda récupéra hasardeusement la scie et, malgré la douleur, elle planta l'outil rouillé dans le crâne de l'être abominable. Ce dernier s'effondra au sol dans un fracas assourdissant. Une flaque de sang s'étendit et Linda écarquilla les yeux, mettant une main devant sa bouche afin de retenir un haut-le-coeur, mais l'émotion, la douleur et la violence de la situation étaient trop fortes. Elle relâcha donc son dernier repas ingurgité sous forme d'immonde flaque visqueuse verdâtre.
L'épaule de la scientifique la lançait. Son omoplate devait être en mille morceaux. Alors qu'elle sortit de la pièce, elle découvrir un réseau de galeries souterraines extrêmement étroites. Linda posa ses mains sur les murs des parois pour constater ce qu'elle redoutait le plus: elle était sous terre sans aucune sortir visible et elle se demanda intérieurement si ses collègues étaient encore en vie.
Elle se décida d'aller vers la droite et se rendit compte que l'espace se réduisait peu à peu, l'obligeant à ramper sur le sol. L'humidité, les parois poisseuses ainsi que la forte odeur de cadavres en décomposition accompagnaient son avancée dans ce qu'elle appela mentalement « le Trou de l'Enfer ».
Elle arriva à une jonction où elle put se relever.  Ses vêtements étaient désormais recouverts d'une masse gluante peu ragoûtante et elle imagina sans peine que ses cheveux roux avaient subi le même sort.
Les galeries continuaient encore plus loin, cependant, une nouvelle porte de béton attira sa curiosité. Elle se risqua à l'ouvrir. Après tout, elle devait retrouver ses collègues. Il fallait qu'elle sache s'ils étaient vivants.
La vision d'horreur à laquelle elle assista manqua de la faire s'évanouir sur-le-champ; une tête gisait sur une table, visiblement fraîchement découpée à la vue du sang qui dégoulinait encore, le buste de la pauvre victime était en train de se faire dévorer par deux corps déformés, recouverts de plaques rouges, les tripes se libérèrent instanément, créant une nouvelle flaque écarlate au sol. Les deux affamés se retournèrent et virent la jeune femme sur le pas de la porte, l'air terrorisé. Cette dernière reconnut alors le visage de son homologue Nils Ferrow et hurla de terreur en prenant les jambes à son cou. Mais où aller? Ces galeries étroites la ralentiraient forcément. Elle se jeta à quatre pattes afin d'en emprunter une au hasard. Elle jeta un rapide coup d'oeil derrière elle en rampant le plus vite possible et aperçut les deux visages déformés par les mutations se rapprocher dangereusement de ses pieds. Ils étaient rapides même en empruntant les galeries. L'une des mâchoires à laquelle il manquait quelques dents se planta dans sa botte sans réussir à traverser entièrement la matière. Linda se retrouva enfin debout. Son coeur frappait violemment contre sa poitrine. Les deux monstres se précipitèrent sur elle et elle se débattit comme elle put. L'un d'entre eux réussit à la mordre à l'épaule. Elle hurla et réussit miraculeusement à se dégager. Et alors que les deux monstres étaient à nouveau sur le point de se ruer sur leur pauvre victime sans défense, une porte dérobée s'ouvrit, laissant apparaître un nouvel humanoïde gigantesque déformé. La peau de son visage s'était repliée sur elle-même, lui donnant un air de momie et son corps décharné était recouvert de pustules verdâtres, tout ceci combiné avec les bras et ventres supplémentaires, véritables éléments dérangeants.
- Attendez! cria-t-il.
Linda fut terrorisée. Cette chose parlait. Elle n'arrivait pas à le croire. Rien au monde n'aurait pu être plus improbable, étant données les boursoufflures sur les lèvres du géant.
- Ne la tuez pas, celle-là.
Pendant un instant, Linda retrouva alors une lueur d'espoir, au-delà même de toute raison. Si ce monstre devant elle pouvait parler, elle devait tenter de négocier sa libération.
- S'il vous plaît, implora-t-elle, son visage déformé par la douleur. Laissez-moi part...
Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Un violent choc accompagné d'un bruit sec lui fit perdre connaissance.

*
**

La jeune scientifique se réveilla attachée à ce qui ressemblait à un squelette humain, en position assise. Elle hurla alors qu'en face d'elle les trois monstres accompagnés de deux nouveaux aux traits féminins s'étaient installés.  La longue table en bois et en os présentait une myriade de couverts sales, d'assiettes et d'écuelles qui auraient dû être jetés depuis longtemps et de verres cassés et ternis. Les assiettes présentaient toutes sortes de mets à base de morceaux humains et les verres contenaient des liquides jaunâtres que Linda identifia rapidement comme de l'urine. Ce cocktail nauséabond lui retourna l'estomac.
- Qu'est-ce que vous me voulez? hurla la jeune femme, essayant tant bien que mal d'oublier les horreurs placées devant elle.
  - Tu ne comprends rien, répondit le monstre géant. C'est nous qui voulons que tu fasses quelque chose.
- Quoi?
Linda s'aperçut que son épaule était en train de former des plaques. Elle devait sortir d'ici le plus vite possible et se faire examiner. Elle allait devoir coopérer avec ces créatures infernales.
- Tu viens de la surface, n'est-ce pas? Comment tu as fait?
- Je suis une scientifique, c'est mon travail de venir faire des relevés.
- La centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé, c'est impossible qu'il y ait des gens qui viennent volontairement ici...
Ces choses connaissaient l'incident. Elle pouvait peut-être en tirer profit.
- Les retombées radioactives sont en train de se dissiper, les mesures deviennent stables, expliqua la jeune femme. Après tout, c'était l'année passée.
- Un an? Il s'est passé un an?
- C'est... c'est exact, oui.
- Un an... Cela fait un an que votre gouvernement nous a mis de côté...
- Quoi?
- Oh, vous vous demandez sûrement ce que nous sommes, n'est-ce pas? Eh bien, croyez-le ou non, nous sommes humains. Les nuages radioactifs ont fait de nous ce que vous voyez aujourd'hui.
- Cela ne vous permet pas de tuer des gens!
- Et qu'est-ce qu'on peut faire d'autre? Personne ne s'est occupé de nous! Aucune nourriture pendant... pendant trop longtemps. Nous avons survécu! Alors, vous allez passer le message à vos gouvernements. Ils délaissent des pauvres gens, ferment les yeux sur des problèmes pour se comforter d'une situation soi-disant stable... Nous ne sommes que les preuves de votre inactivité.
- Alors... vous allez me relâcher? tenta la scientifique.
- En effet, mais pas indemne.

*
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La ville de Minsk en Biellorussie semblait bien paisible tandis que le soleil descendait doucement dans l'horizon, donnant au ciel ses couleurs pastels caractéristiques et mélancoliques. Cependant, cette tranquillité allait être perturbée par cette inquiétante silhouette boîtant inlassablement vers son objectif. Et ce ciel si vaste, inatteignable lui rappelait douloureusement qu'elle avait tout perdu et qu'elle ne pouvait pas rentrer chez elle. Se mêlant au vol des oiseaux et au passage des nuages, des cris de terreur déchirèrent l'aurore, puis des gens qui détalèrent dans tous les sens dans un chaos incompréhensible. Une vague de silhouettes grognantes et enragées se ruait sur la masse. Du sang commença à tâcher le sol et les maisons. Et Minsk aussi sera mise en état de quarantaine, puis oubliée par les gouvernements. C'est bien connu, les humains préfèrent étouffer les problèmes plutôt que d'essayer de les régler. Surtout si ce problème incoforte les puissants.

Little Nightmares Saison 2 (Série)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant