7. Horreur en hauteur

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Chaîne de l'Himalaya, Chine

Bao et Shan Ling sont mariés depuis sept ans maintenant. Pour leur septième lune de miel, ils se sont offert une randonnée dans les montagnes de l'Himalaya. Ils ont suivi Yuan Fei, leur guide attitré à travers de somptueux paysages recouverts de neige. Ils ont dû progresser lentement car le manteau blanc leur montait jusqu'aux genoux, mais après trois heures d'efforts intensifs, ils ont réussi à rejoindre une cabane. À leur grande surprise, en arrivant sur les lieux, ils ont découvert qu'il y avait de la lumière et la cheminée crachait une épaisse fumée grise qui se faisait emporter par le vent. Ils sont reçus comme des amis par les trois locataires temporaires des lieux: Guo, Lee et Mei. La décoration est assez pauvre: un cadre est accroché au mur, une petite table sur laquelle trônent un vase et une fleur rouge (une pivoine apparemment), un vieux poste de télévision grésillant, une grande table pour manger, quelques chaises, deux fauteuils, un divan et un tapis.
Chacun se présente brièvement, expliquant les raisons de leur venue ici. Le feu dans l'âtre réchauffe déjà les tourtereaux et leur guide. Très vite, une bonne ambiance s'installe dans le groupe, partageant un bon repas chaud ainsi qu'un excellent thé au jasmin, fierté nationale des Chinois. Les différences entre chacun se font discrètes, certes les deux femmes ont les cheveux longs mais c'est surtout la forme des yeux, du nez et de la bouche qui varie. Cependant, tout ce beau monde a les cheveux ainsi que les yeux sombres comme la nuit qui vient de subitement s'abattre dehors. Guo, l'homme le plus costaud du groupe, explique qu'il y a de quoi communiquer avec l'extérieur dans la cabane et que le tout est relié à un boîtier de raccordement, situé dehors, dans un bâtiment à part, en acier, qui contient une antenne, des fusibles et quelques câbles électriques.
Le vent se lève brusquement dehors et se met à hurler, comme s'il s'agissait d'une plainte. De gros nuages recouvrent le ciel étoilé et une neige dense tombe en rafale en quelques minutes. Guo observe le phénomène en silence, puis se tourne vers les quatre autres avec un air inquiet.
- Je pense que nous n'avons pas le choix: nous devons rester ici jusqu'à ce que la tempête se calme. Il n'y a que deux chambres alors je pense qu'on devrait faire un groupe de femmes et un groupe d'hommes.
Shan n'est pas rassurée et cherche un peu de réconfort dans les bras de son mari. Lee observe la scène et montre un visage bien plus optimiste que celui de Guo.
- Ne vous en faites pas, peut-être que la tempête sera calmée demain!
Mei se lève et constate à son tour l'exécrable temps au-dehors.
- Je l'espère, répond-elle. Je n'ai pas vraiment envie de passer une semaine ici.
Cette seule pensée la fait frissonner et, alors que les branches d'un arbre frappent à une fenêtre, elle sursaute avant d'identifier l'origine du bruit.
Tandis que chacun est en train de préparer son lit afin de se reposer, la télé change subitement de chaîne sans que personne ne touche la télécommande. Une mésentente s'élève alors subitement afin de savoir qui est le petit farceur mais tout le monde maintient fermement sa position: personne n'a appuyé sur le moindre bouton. Mei attrape alors l'objet rédempteur et tente de changer de chaîne mais en vain, la même image d'un décor sombre est affiché partout. Soudain de l'ombre sort un masque blanc aux traits grossiers, directement inspiré du théâtre chinois.
- Bonsoir, annonce une voix visiblement trafiquée. Je me nomme Maze. Je serai votre hôte pour cette nuit. Si j'étais vous, je ne débrancherai pas le poste. J'ai placé quelques mécanismes dessus afin que personne ne s'en approche. Je veux simplement me livrer à une petite expérience.
Un silence glacial envahit la pièce, presque plus froid que l'exécrable temps dehors. Tous s'observent les uns les autres avec un air inquiet.
- Je vais vous donner des missions à accomplir toutes les heures, continue alors l'horrible voix. Si l'un d'entre vous faillit à cette mission, il meurt. Si l'un d'entre vous essaie de s'enfuir, eh bien je ne lui donne pas deux heures de survie avec cette tempête. Et pour ce qui est d'appeler des secours, ils ne viendront pas pour les mêmes raisons. Le temps s'améliorera demain à huit heures d'après les prévisions météorologiques. Le but de l'expérience sera donc de survivre jusqu'à l'aube. La première mission est dans un tiroir d'une table de nuit de l'une des chambres. Elle est pour Shan. Bonne chance.
- C'est n'importe quoi! déclare Lee. Comment pourrait-il savoir tout ce qu'on fait?
- Il connaît mon nom! s'écrie Shan dont la gorge est nouée à cause des larmes qui lui montent.
Elle se sent observée, quelqu'un a pénétré dans sa sphère privée sans son consentement. Son mari l'étreint dans ses bras et tente de la consoler comme il peut.
- On ne peut pas prendre le risque! dit ce dernier.
Il fouille alors les deux chambres à la recherche de la mission et tombe sur un petit bout de papier sur lequel sont calligraphiés des signes.
- « Les plombs de la cabane sont instables. Vous n'êtes pas sans savoir que les fusibles se trouvent dans l'autre bâtiment, situé deux cents mètres plus loin.
Mission: Aller chercher des fusibles et les installer.
Contrainte: Pieds nus
Difficulté: Quelques pièges à ours sont enfouis, faites attention où vous marchez
Personne désignée: Shan Ling. » lut Bao à haute voix.
- C'est n'importe quoi! affirme Lee. Ce type se fout de nous! Il nous fait faire ses corvées avec des contraintes débiles! Elle va mourir d'hypothermie si elle y va!
- Elle va peut-être mourir tout court si elle n'y va pas! crache Bao.
- Je vais le faire, annonce timidement la concernée.
Elle retire ses chaussures et ses épaisses chaussettes et ouvre la porte de la cabane. Le froid lui fouette les joues, les brûlant presque aussi vite. Elle grelotte et enfonce un premier pied dans la neige.
La douleur est insupportable. Elle doit se retenir de ne pas hurler. C'est comme si des milliers d'aiguilles traversaient sa peau, toutes en même temps. Avec une grimace sur son visage, elle enfonce son deuxième pied et avance aussi vite que possible, ne souhaitant pas traîner davantage. Elle disparaît à la vue de Bao derrière un pan de montagne qu'elle doit contourner.
Le chemin qui s'ouvre à elle passe par un long pont métallique, évidemment gelé, qu'elle doit traverser. Elle doit retenir ses larmes à chaque pas. Elle a l'impression que le quadrillage du pont lui coupe la plante des pieds. Une fois arrivée de l'autre côté, elle prend un moment pour constater les dégâts: ses pieds étaient en sang et laissaient dans la neige des traces bien trop visibles.
Un grand espace s'offre à elle, blanc et silencieux. Juste à quelques pas de là se tient un bâtiment de métal recouvert de givre et de stalactites. La jeune femme se souvient de l'avertissement de l'inconnu psychopathe: des pièges à ours sont cachés sous le manteau blanc, attendant sagement que quelqu'un les réveille. Elle n'ose pas avancer, tétanisée par la peur et le froid, mais elle sait qu'elle doit le faire. Shan pose un pied dans l'épais manteau glacial, puis un autre, et encore un autre. Son coeur se serre, ses dents claquent. Alors qu'elle se trouve à quelques mètres de son but, elle entend subitement le bruit suspect d'un cliquetis. La douleur qui survient est indescriptible, toute sa jambe la brûle violemment. Les larmes aux yeux, elle observe ces terribles mâchoires d'acier entailler sa peau comme s'il s'agissait d'un couteau coupant du beurre. Le hurlement qui suit déchire le silence nocturne, intense, brutal, rauque. Alors, Shan tente d'ouvrir le piège avec ses mains. En se blessant gravement les deux paumes, elle y parvient difficilement. Impossible de marcher normalement cependant. Les larmes qui ont coulé sur ses joues ont déjà gelé. Elle avance à quatre pattes, gémissant sous la douleur. Son sang se répand dans la neige, l'étalant sur l'épais manteau glacé. Elle est encore loin de la porte. Un nouveau cliquetis. Une nouvelle douleur vive, insoutenable, brûlant toute la zone concernée.
Un nouveau piège était accroché à son coude, la mordant fermement. Elle ne sait pas quelle chance elle a eue pour que son bras ne se détache pas entièrement. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle ne sent plus son membre supérieur gauche. Elle se relève comme elle peut, serrant les dents sous la douleur et atteint enfin la porte.
Elle la pousse avec difficulté dans un grincement métallique beaucoup trop bruyant. Elle entre et cherche par réflexe une trousse de premiers secours. Avec énormément de chance, elle en trouve une, pendant au mur. Shan se relève difficilement et désinfecte sa jambe et la plante de ses pieds en serrant les dents tant le produit la brûle. Elle met ensuite des bandages et, avec un pied de biche, retire le piège à ours qui mordait toujours son coude. Elle applique les mêmes soins et trouve les fusibles après quelques minutes de recherche. Mais elle n'est pas seule ici, elle le sent. Son regard est paniqué, son souffle est court, son coeur tambourine contre sa poitrine. Elle a aperçu une ombre se déplaçant à grande vitesse. Elle n'a pas pu en identifier l'origine. Soudain, un cri, un son morbide de chair que l'on déchire. Et puis le silence total.

Little Nightmares Saison 2 (Série)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant