5. Dead Lights

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Paris, France

Le monde de la mode avait toujours intéressé la jeune Albane. Avec son visage d'ange à la peau lisse, ses yeux d'un bleu profond et son sourire illuminé, elle avait déjà attiré l'attention sur elle à de nombreuses reprises. Elle faisait néanmoins attention à ne pas porter de vraie fourrure, car sa conscience lui interdisait de valoriser les pratiques barbares envers les animaux. En emménageant à Paris, la capitale de la mode, elle espérait pouvoir percer dans ce milieu malgré les difficultés et la pression oppressante qui régnaient sur les mannequins. Et c'était aujourd'hui qu'Albane passait son premier casting professionnel, un photographe quarantenaire l'avait repérée sur les réseaux sociaux. La jeune femme était intimidée, refermée sur elle-même. Elle portait une jupe en nylon, une paire de collants noirs opaques, des escarpins rouge vif, un top à paillettes et une veste verte en feutre. L'homme en face d'elle semblait beaucoup plus à l'aise, il portait une tenue plutôt décontractée avec un jean, une chemise en coton et un nœud papillon grenat. Il dévisagea Albane derrière ses grosses lunettes carrées.
- Mademoiselle Gardot Albane... vingt-trois ans...
- Euh oui... répondit-elle en bégayant.
- J'ai vu vos clichés et ils ont retenu mon attention.
Il fit défiler les fameuses photos, développées sur papier glacé devant lui.
- Vous êtes jolie, c'est certain.
- M... merci.
- Il ne suffit pas d'être jolie dans ce métier, mademoiselle Gardot. Que recherchez-vous exactement?
Le regard d'Albane se perdit dans le vide, au travers d'une fenêtre donnant sur une ville polluée, surpeuplée, terne et morne.
- De l'assurance et de la liberté, répondit-elle.
- La liberté? Le monde de la mode est plein de contraintes, mademoiselle Gardot.
- Elles me semblent beaucoup plus surmontables que ça.
Elle fit un signe vers la fenêtre et l'homme remarqua à son tour le raffut et le train-train si destructeur de l'Homme.
L'homme en face d'elle réfléchit et toisa la jeune femme, qui, certes, restait refermée sur elle-même avec ses genoux l'un contre l'autre, mais avait également un regard plus déterminé.
- Très bien, passez au maquillage et à la coiffure, on va faire des essais.
- Quoi?... aujourd'hui? demanda Albane en s'exclamant.
- Vous avez mieux à faire? demanda l'employeur en haussant un sourcil.
- Euh... non... c'est juste... surprenant.
Albane rejoignit la porte située sur la droite du bureau de son employeur et, en l'ouvrant, elle découvrit un long couloir rempli de coiffeuses avec tout le nécessaire à maquillage et à coiffure.  Une mannequin y était déjà installée: elle avait de grands yeux verts décorés de faux cils, une longue queue de cheval brune qui descendait dans son dos et un décolleté tellement plongeant qu'il touchait son nombril. Elle sembla jauger Albane avec un air supérieur et cette dernière semblait plutôt impressionnée et tenta d'éviter son regard.
- Je connais les filles dans ton genre, balança la mannequin.
- Ah bon? demanda Albane, un peu réticente à l'idée de parler à la professionnelle.
- Celle qui s'asseyait là juste avant toi était pareille.
- Et... qu'est-ce qui lui est arrivé? demanda la novice avec la voix chevrotante.
- Je l'ai bouffée.
Une maquilleuse et une coiffeuse entrèrent par la porte au bout du couloir et vinrent s'occuper de la professionnelle. Deux nouvelles femmes suivirent de près pour venir s'occuper d'Albane. En regardant dans le miroir recouvert d'ampoules, elles froncèrent les sourcils. La maquilleuse mit un peu de fond de teint et une touche de rouge à lèvres. Quant à la coiffeuse, elle vaporisa juste un peu de laque et secoua les cheveux d'Albane. Alors que les deux autres s'attardaient toujours sur leur travail, les deux qui s'étaient occupées d'Albane lui demandèrent de se lever et de rejoindre la porte. La professionnelle fut stupéfaite et lui lança un regard noir. En passant la seconde porte, Albane découvrit un dressing room rempli de penderies et de chaussures. Ici, les couturiers et les conseillers s'affairaient partout avec des mannequins pour les dernières retouches.  Celui qui semblait être la tête pensante de tout ce projet détourna immédiatement le regard vers Albane. Il la rejoignit et fut parcouru de spasmes.
- C'est quoi ton nom? demanda-t-il précipitamment sans saluer.
- Albane? répondit la jeune femme prise au dépourvu.
- Tchut tchut tchut! Stacy!
- Mais je m'appelle Albane...
- Tu t'appelleras Stacy. Vicky, tu peux m'habiller Stacy s'il te plaît? Donne-lui ma collection "Printemps sur la Tamise".
- Mais c'était réservé à Helena, non?
- Eh bien Helena n'aura qu'à porter "Fête de bal". Elle a pris du poids dernièrement.
- À vos ordres...
Vicky était une femme aux traits plutôt durs avec son chignon serré et ses lunettes carrées. Elle ressemblait vraiment à une prof sévère avec sa jupe crayon et son chemisier blanc en dentelle. Elle prit Albane par la main et l'emmena derrière un paravent avant de lui donner les vêtements demandés par le patron. Après quelques minutes où Albane affichait une mine de malaise profond, elle ressortit vêtue d'une robe violette complexe à paillettes. Des bouts de tissus avaient été ajoutés çà et là, lui donnant une allure de vaisseau spatial étrange. Elle portait également un paire d'escarpins aux talons vertigineux couleur taupe avec des paillettes. Tous les regards dans la pièce se tournèrent sur elle. Albane eut l'impression qu'un immense projecteur s'était allumé sur elle pour qu'elle attire l'attention. Elle se sentait gênée, elle aurait voulu disparaître en cet instant.
- Ma chérie... tu es vraiment hors du commun, annonça le couturier.
La mannequin qu'Albane avait rencontrée dans le couloir arriva dans la pièce, beaucoup trop maquillée. Sa coiffure aussi partait dans tous les sens avec des mèches ondulées. Son regard croisa celle de la novice et un nouveau regard noir fusa.
- Comment ça se fait que cette fille porte mon ensemble? grogna-t-elle.
- Changement de plan pour toi, Helena, annonça Vicky. Tu porteras quelque chose d'autre.
- Quoi? Non... c'est moi l'égérie de la marque... Travis...c'est moi ta muse... gémit elle en se jetant sur le couturier.
- Tu ne l'es plus. Je me sens plus en osmose avec Stacy.
- Travis... non... rappelle-toi tout ce que j'ai fait pour toi. Je t'ai donné de l'inspiration...
- Dommage. Habille-toi, Helena. Le défilé d'essai est dans cinq minutes.
Alors qu'Helena repartit en grognant, on accompagna Albane sur un petit podium baigné de spots lumineux qui augmentaient drastiquement la chaleur. Albane se sentit d'abord écrasée par ses vêtements et par la température ambiante. Mes ses yeux se fixèrent sur le mur du fond et elle commença à marcher, sur ces talons inconfortables, dans cette robe beaucoup trop serrée aux jambes. Le monde sembla devenir entièrement flou, les gens qui l'entouraient perdaient peu à peu leurs couleurs, leurs visages devenaient uniformes et plats, sans aucun orifice. Seuls les flashs crépitants, scintillants comme les étoiles, importaient pour elle en cet instant. Tous les regards la suivaient pourtant. En effet, en cet instant suspendu, on ne pouvait voir qu'elle. Son aisance, sa beauté, sa démarche... tout était gracieux et aucun commentaire n'aurait su rendre y justice. Quand elle eût descendu du podium, tout le monde était bouche bée.
- Vicky? Tu me la mets en couverture, dit Travis.
- Entendu.
- Quoi? Non... se défendit Albane.
Personne ne sembla prêter attention à elle et s'affaira avant de ranger progressivement l'endroit. Travis vint à elle une fraction de seconde.
- Tu es un diamant brut, Stacy.
Il repartit aussitôt et les gens commencèrent à déserter les lieux. Seule Helena était restée et s'approcha d'Albane d'un pas lourd et furieux.
- Je sais ce que t'essaies de faire, la nouvelle.
- Je...
- Et crois-moi, tu as intérêt à arrêter ça tout de suite. C'est moi l'égérie ici! Moi!
- Mais je n'essaie pas de piquer la place de quiconque! vociféra Albane.
- Faudra t'y faire, c'est comme ça ici. Tiens-toi à carreaux demain!
- Euh...
Helena tourna les talons, furieuse et sortit à son tour et Albane erra un moment dans le dressing room vide, à essayer des tenues au hasard et à ruminer sur les paroles d'Helena. Qu'avait-elle donc fait de mal? Elle avait juste défilé. Elle avait tout autant le droit d'être ici qu'Helena. Elle était faite pour la mode, elle le savait. Alors pourquoi ne saisissait-elle pas cette chance? Elle s'endormit sur un divan en se posant tout un tas de questions.

Little Nightmares Saison 2 (Série)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant