8. Le jouet

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New Dehli, Inde

Ce fut en fouillant le grenier de sa grand-mère décédée récemment que la jeune Anjali tomba par hasard sur un vieux jouet couvert de poussière. Il s'agissait d'un mannequin de bois, mesurant environ cinquante centimètres et il était très abîmé: son oeil gauche pendait à un ressort, sa bouche peinte était presque effacée, de petits morceaux manquaient çà et là et les vêtements en tissu étaient en lambeaux. La tête était plutôt carrée avec un nez pointu assez grossier. Ses cheveux noirs se dressaient en épis sur son crâne.
Anjali était fascinée par cet être inanimé. À l'abris des regards, elle décida de ramener le jouet dans sa chambre. Elle ne pouvait pas parler de sa découverte avec ses parents très stricts qui lui confisqueraient derechef l'objet. Elle devait le réparer par elle-même.
La chambre de la jeune fille était plutôt banale: les murs étaient couleur crème, le plafond était fait en bois, elle avait une table de nuit, un petit bureau pour faire ses devoirs, quelques poupées et autres jouets soigneusement rangés dans des corbeilles, mais Anjali passait la plupart de son temps devant sa coiffeuse où elle brossait ses longs cheveux lisses, bruns et soyeux, où elle s'admirait avec son regard noisette espiègle et où elle s'amusait à se maquiller comme maman.
Pour l'heure, elle décida simplement de cacher sa nouvelle trouvaille dans l'une des caisses. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait pris cette marionnette, mais elle lui trouvait quelque chose de réconfortant. Le soir même, après le copieux souper, elle s'endormit sans aucun problème, l'esprit apaisé par la présence rassurante du jouet.

Le lendemain

Anjali avait pris son petit-déjeuner sans dire un mot, en compagnie de sa mère, Krishna, et de son père, Anil. Lorsqu'elle remonta dans sa chambre pour préparer son sac à dos, elle ressentit le besoin inexplicable et inextinguible de prendre la marionnette avec elle. Âgée de douze ans, elle était certaine de ses choix et de son libre arbitre, mais là, ce jouet l'appelait. Dans un murmure presque imperceptible, elle crut entendre un prénom: Gary. Sans doute celui de son nouvel ami?
Elle l'attrapa et le cacha comme elle le put dans son sac, le tordant un peu pour le faire rentrer.
Durant toute la journée, elle n'avait presque rien écouté aux cours, son attention étant constamment fixée sur Gary. Le seul moment où elle fut ravie, ce fut lors de l'activité manuelle où elle entreprit de réparer son jouet. L'institutrice lui donna volontiers un coup de main pour rafraîchir la peinture de la marionnette et elle réussit même à réparer son oeil abîmé. Anjali était ravie de voir son nouveau compagnon de jeu ainsi restauré.
Lorsqu'elle rentra chez elle, ses deux parents l'attendaient devant la porte d'entrée pour lui demander comment s'était passé sa journée. Elle resta très évasive sur le sujet et n'évoqua évidemment pas la restauration de Gary. Elle grimpa dans sa chambre et posa le jouet contre la fenêtre de sa chambre. Le mannequin semblait la dévisager, sonder son âme. Elle entendit même un murmure, comme si l'objet inanimé lui parlait.
- Tu m'as réparé. Comment t'appelles-tu?
Le coeur de la petite fille cogna violemment contre sa poitrine. Elle trembla de peur devant cette étrange manifestation. Elle osa à peine répondre.
- An... Anjali.
- Anjali. C'est joli. Gary te remercie de l'avoir réparé. Beaucoup de gens l'auraient juste jeté aux ordures.
- De... de rien.
Ce qu'Anjali ne savait pas, c'était que sa mère écoutait attentivement à la porte. Et Krishna était certaine d'avoir entendu non pas une mais deux voix distinctes.
Le Tikka Masala fumant attendait sagement le premier coup de fourchette d'Anjali. Elle regardait son assiette sans en avoir une grande envie. Et pourtant, elle adorait ça en temps normal.
Krishna avait tenu sa langue sur ce qu'elle avait entendu tout à l'heure à la porte. De toute façon, Anil l'aurait prise pour une folle.
- Quelque chose ne va pas Angie? demanda la mère, un peu inquiète du comportement de sa fille.
- Tout va bien, répondit l'intéressée en secouant la tête.
Anjali monta dans sa chambre sans avoir rien mangé. La seule chose à laquelle elle pensait, c'était de retrouver Gary. Le jouet l'attendait sagement, assis sur le lit alors que la jeune fille était persuadée de l'avoir appuyé contre la fenêtre.
Krashni entendit à nouveau la mystérieuse voix s'élever de la chambre de sa fille.
- Je te protégerai, Gary, annonça la voix douce d'Anjali.
- Il faut que tu te protèges toi-même. Il te faut manger pour prendre soin de Gary.
- D'accord, Gary.
Elle décida une fois de plus de laisser sa fille tranquille et de ne pas s'inquiéter.

La femme de quarante-deux ans se réveilla en pleine nuit, en même temps que son mari, dérangés tous les deux dans leur sommeil par un fracas assourdissant. Le bruit provenait de la chambre d'Anjali et ils échangèrent tous les deux un regard inquiet.
Ils se précipitèrent pour ouvrir la porte et découvrirent un spectacle affligeant: des piles de vêtements étaient entassés sur le sol, une armoire avait été renversée, les jouets étaient éparpillés un peu partout.
- Qu'est-ce que tu as fait, Anjali? demanda Anil d'un air sévère.
- C'est pas moi! répondit l'enfant. C'est Gary! accusa-t-elle en pointant le mannequin de bois qui était assis sur l'armoire.
- Arrête de raconter des histoires! s'énerva le paternel en attrapant sa fille par le poignet.
Il l'emmena de force dans la cave où il la jeta sous les essais infructueux de sa femme pour tenter de le raisonner.
- Tu reprendras ta chambre lorsque tu arrêteras de raconter des mensonges! vociféra-t-il en claquant la porte violemment.

Le lendemain

Anjali était forcée d'aller à l'école sans Gary. Son père était toujours fâché contre elle. Quand elle rentrerait, elle nettoierait sa chambre à fond.
Toute la journée, son esprit fut embrumé par son jouet. Lorsque la cloche sonna la fin des cours, elle se précipita chez elle en courant à en perdre haleine.
Son expression vira subitement de la joie à l'incompréhension. Deux voitures de police étaient garées devant la maison. Sa mère était en compagnie de deux hommes en uniforme et semblait visiblement bouleversée; elle épongeait ses larmes avec un mouchoir et tremblait.
Anjali se rua vers Krishna et lui demanda ce qui s'était passé. Krishna arrivait à peine à articuler tant le choc était violent.
- Ton père... il... il a été...
Elle n'arriva pas à finir sa phrase. Le traumatisme était encore trop récent. L'un des policiers se tourna alors vers la petite fille pour prendre le relais. Il avait une grosse moustache broussailleuse, quelques cheveux gris dépassant de son chapeau et de grosses lunettes noires posées sur un gros nez.
- Je suis le lieutenant Daljeet Ahluwalia et je suis désolé de t'apprendre ça mais ton papa a été sauvagement assassiné.
- Quoi? s'exclama-t-elle. Mais qui? Comment?
- On ne sait pas pour le moment.
Anjali ne voulait pas le croire. Elle faussa compagnie aux deux policiers et à sa mère afin de s'engouffrer dans la maison.
- Petite, non! cria le policier en essayant de la courser.
Mais rien n'y fit, la jeune fille était trop rapide. Elle se faufila sous les rubalises jaunes et noires et se précipita instinctivement vers la scène de crime: la cave. Elle y trouva trois personnes en combinaison blanche qui inspectaient un corps au sol, baignant dans une mare de sang. Le cadavre était allongé face contre sol, de multiples trous sanguinolents étaient visibles sur son dos, ses tripes s'étendaient sur le sol dans un chaos inextricable. Les trois hommes en combinaisons écarquillèrent les yeux et tentèrent d'aborder la fillette.
- Qu'est-ce que tu fais là? demanda l'un d'entre eux.
Elle ne répondit pas. Les larmes lui montèrent aux yeux. Son appel se transforma peu à peu en cri de désespoir.
- Papa... Papa... Papaaaaa...
Daljeet arriva derrière elle, l'étreignit et lui couvrit les yeux. Il l'emmena à l'étage, l'assit sur une chaise et la couvrit avec sa veste de fonction.
- Pourquoi tu es allée voir?
- Papa... baragouina-t-elle.
- On essaie de savoir ce qui s'est passé. On sait qu'un couteau a été utilisé comme arme. Tu connaîtrais quelqu'un qui serait capable de faire ça?
Le nom de Gary lui traversa immédiatement l'esprit, mais elle préféra démentir. Elle devait affronter Gary toute seule. Elle demanda à rester seule un instant et en profita pour monter dans sa chambre, où elle trouva son jouet couché sur son lit.
- C'était toi, n'est-ce pas?
- Il a été méchant avec toi. Gary protège Anjali. Gary voulait qu'Anjali soit libre.
- Tu n'avais pas le droit! Même s'il était sévère, il était mon papa!
- Gary peut être ton papa.
- Tu ne peux pas! Tu n'es qu'un jouet!
Gary sembla regarder un moment la petite fille dans les yeux. La colère et la tristesse de cette dernière s'évaporèrent instantanément et elle étreignit son jouet tout contre elle.
Après une dizaine de minutes, la fillette était toujours contre son jouet, au milieu d'une mare de sang avec trois cadavres. Deux d'entre eux étaient des policiers en uniforme et le troisième était sa propre mère, tous avaient été sauvagement poignardés à de multiples reprises. Gary avait totalement pris le contrôle de l'esprit d'Anjali.
Oui, chers lecteurs, les cauchemars sont ici et ils prennent possession de nos envies les plus sombres. Résistez-leur ou vous risqueriez bien de rejoindre les rangs d'Anjali.

Little Nightmares Saison 2 (Série)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant