12 septembre 2018
- Monsieur Demaury, est-ce que vous nous entendez ?Demanda le médecin, que Lucille avait appelé. Depuis quelques minutes déjà, ils tentaient d’entrer en contact avec le jeune homme, en vain. Il leur répétait sans cesse « je ne vous comprends pas », et ils avaient essayé de lui déboucher les oreilles, mais manifestement, en vain. Lucille, qui avait prévenu les parents d'Eliott de son réveil, regardait la scène avec un certain désarroi. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle ne comprenait pas ce qui n’allait pas avec son copain.
- JE VOUS ENTENDS MAIS JE NE VOUS COMPRENDS PAS.
Et pire encore, Eliott ne comprenait même pas les mots qui sortaient de sa propre bouche. Il savait ce qu’il disait, il était à peu près sûr que ses lèvres articulaient les bons mots, mais il lui semblait ne produire qu’une suite de sons non articulés. Même en criant, cela ne changeait rien. Alors, il sentit la panique s’emparer de lui. La respiration de plus en plus courte, il cherchait son souffle.
- Il fait une crise d’angoisse. Allez chercher un alprazolam 0,5, demanda le médecin à une infirmière.
- Qu’est-ce qui se passe ? Il va bien ?
- Détendez-vous mademoiselle. Il est très angoissé, j’ignore pourquoi mais il ne semble pas pouvoir comprendre ce qu’on dit. Alors, il vaut mieux qu’on évite de parler, et en plus, s’il vous voit paniquer ça ne va pas l’aider.
Lucille serra la main de son copain dans la sienne, et le médecin appuya sa main sur le sternum du garçon pour essayer de le forcer à prendre des inspirations plus profondes, et respira lui-même plus profondément pour qu’Eliott puisse se caler sur son rythme. L’infirmière lui donna son traitement, et après un moment, le jeune homme retrouva son calme. Le médecin sortit alors son calepin et son stylo, afin de pouvoir communiquer avec son patient.
《 Arrivez-vous à lire ? 》
Eliott saisit le calepin de son bras intact, et plissant les yeux. Il craignait de ne plus non plus savoir non plus lire. Si c’était le cas, sa vie était foutue. Mais, malgré l’écriture peu soignée du médecin, il parvint à déchiffrer le message sans difficultés. Il hocha la tête en guise de réponse. Le médecin écrivit à nouveau
《 Qu’est-ce que vous entendez exactement ?》
Eliott lut à nouveau le message, et réfléchit à sa réponse.
- Je ne sais pas. Des sons. Un truc comme si vous parliez une autre langue totalement inconnue. Et je m’entends pareil. Vous me comprenez quand je vous parle ?
《 Oui, très bien monsieur Demaury.》
Puis le médecin se tourna vers l’infirmière.
- S’il vous plaît, appelez le service imagerie pour un scan cérébral en urgence.
Il regarda Lucille, qui avait les larmes aux yeux, et Eliott, qui avait l’air perdu, et écrivit ses explications en même temps qu’il les donnait à Lucille.
- Nous allons l’emmener faire un scanner du cerveau. Manifestement, le système auditif semble fonctionner correctement, mais nous allons vérifier si l’accident n'a pas touché son cerveau. Ça peut tout aussi bien être provisoire, dû au coma, mais je préfère vérifier.
Lucille hocha la tête et Eliott, après avoir lu la note du médecin, regarda sa petite amie avec inquiétude. Lucille sortit son téléphone et tapa un message pour le lui montrer.
《 Ça va aller Eliott. Tu es vivant. Tu vas aller mieux.》
Eliott sourit à sa petite amie, mais le cœur n'y était pas.
Après les examens et de retour dans sa chambre, il attendit les résultats avec Lucille et ses parents. Dans la pièce, il régnait un silence pesant, alors la mère du garçon décida de mettre de la musique. Elle mit Vianney, le chanteur préféré de son fils, en se disant qu’il reconnaîtrait au moins l’air, et qu’il connaissait les paroles des chansons par cœur. Mais Eliott secoua la tête. Cela lui rappelait qu’il ne comprenait plus rien, et qu’il avait probablement le cerveau en bouillie. Alors, sa mère changea et mit des morceaux uniquement instrumentaux, et il se détendit.
Le médecin finit par arriver. Il avait pris le soin d’écrire un compte rendu du compte rendu de l’examen pour Eliott, et il le retrouva avec ses proches dans sa chambre. Il tendit le papier au garçon, et entama les explications pour ses proches.
- Les nouvelles ne sont pas très bonnes. L’accident a créé une atteinte cérébrale au niveau de ce qu’on appelle le vortex auditif primaire. C’est la zone du cerveau qui traite les informations qui viennent des oreilles et qui fait qu’on reconnaît les mots. Si elle est atteinte, la reconnaissance verbale devient compliquée voire impossible. Malheureusement, pour Eliott, c’est une atteinte bilatérale, donc il ne peut traiter l’information verbale en provenance d’aucune de ses deux oreilles. En revanche, il peut toujours lire et écrire, puisque ces fonctions sont traitées par d’autres zones du cerveau.
A mesure qu’il lisait les explications, les yeux d'Eliott s'embuèrent. Il n’était pas encore vraiment sûr de ce qui se passait, mais les mots du médecin, couchés noir sur blanc, comme une sentence irrévocable, lui donnaient l’impression de passer à nouveau sous les roues d’une voiture.
- Je suis sourd alors ?
Le médecin sortit à nouveau son calepin pour lui répondre.
《 On parle de surdité verbale, mais vous n’êtes pas sourd. Vous entendez très bien, même si je me doute bien que cela n’est pas vraiment d’un grand réconfort.》
- Et y'a rien à faire pour moi ?
《 Je suis désolé monsieur Demaury, mais les espoirs sont infiniment petits. En revanche, vous allez être suivi de façon à trouver des moyens de compenser.》
- Et est-ce que ça va rester comme ça ou ça va s’aggraver ? Je vais pas finir par perdre ma capacité à écrire, hein ?
《 Non. Comme je le disais, c’est une toute autre zone qui traite le langage écrit, et celle-ci est intacte. D’autres zones du cerveau semblent légèrement lésées, mais c’est assez léger pour que cela ne vous impacte pas de manière irréversible.》
Le médecin continua de répondre aux questions du jeune homme et de sa famille, avant de quitte la chambre. Eliott resta silencieux. Sa vie était brisée, il le savait. Il ne lui restait plus qu’une chose : l’écriture. Mais rien ne serait jamais plus comme avant.
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Sur tes lèvres
Roman d'amourSuite à un accident grave, Eliott, écrivain célèbre, a perdu l'audition. Ou plutôt, il souffre d'une surdité verbale : il entends les sons, mais n'est plus capable de reconnaitre les mots à l'oral. Peu à peu, il s'est enfermé dans un mutisme l'isola...