Chapitre 8 - Page blanche

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31 mai 2020

Un tête-à-tête avec son ordinateur, voilà ce qui attendait Eliott. Cela semblait être un programme peu réjouissant pour un samedi soir, mais il n’avait pas le choix. Son éditeur lui mettait la pression pour que son livre sorte avant l’été, apparemment pour « être le best-seller qu’on verra sur toutes les plages ». En voyant Eliott en panne d’inspiration, David avait essayé de décaler les délais, en vain. Mais Eliott avait du mal à écrire. On attendait un livre « good vibes », quelque chose à lire sur une histoire d’amour douce et heureuse, mais Eliott n’était pas d’humeur. Il n’aimait pas vraiment sa vie. Il était seul. Bien sûr, il avait David, et puis Max et Idriss, mais ils avaient leurs vies de leur côté, et lui, il était seul.

Depuis un mois, il ne faisait que penser à ce garçon, Lucas. Il revoyait son visage, son sourire et surtout, son regard. Dans sa tête, il avait passé beaucoup de temps à lui imaginer une personnalité, une vie. Au début, il avait eu un peu honte, puis il s’était dit qu’après tout, ils ne se reverraient jamais.

Il ferma son ordinateur en soupirant. Apparemment, à moins d’écrire une histoire sur Lucas, l’inspiration ne comptait pas lui venir ce soir. Il envoya un sms à Max.

- Mec c’est l’enfer j’ai 0 inspiration.

- Ça va aller Eliott, c’est pas la première fois et tous tes bouquins cartonnent.

- Ouais mais là le temps presse et j’y arrive vraiment pas.

- Quelque chose ne va pas ? T'es bizarre en ce moment.

- Ouais, enfin non. Je sais pas. Je suis un peu paumé.

- Comment ça ?

- Je crois que je n’aime pas trop ma vie.

- Bah Eliott ? Tu as toujours adoré écrire et les gens t'adorent. Et en plus pour couronner le tout, t'as une super baraque.

- Une super baraque, bien trop grande pour un mec seul.

- Je suis désolé de t’avoir laissé tomber mec, mais il était temps d’emménager
avec Jo…

- C’est pas ça le problème. Enfin si. Mais tu vois, toi, t'as quelqu’un. Moi, depuis Lucille, ma vie sentimentale est complètement chaotique. En même temps, qui voudrait de moi ? Je suis pas très loquace.

- Écoute Eliott, je ne pensepas que ce soit ça leproblème. Mais tu ne laisses à personne le temps d’apprendre à te
connaître. Tu ne t’ouvres à personne.

- C’est pas si simple. Puis je sais pas, y’a personne avec qui j’ai le feeling. Enfin j'sais pas.

- Tu sais pas quoi ?

- Y’avait un mec à la séance de dédicaces. Et il était magnifique. Et dans son regard y’avait si truc puissant.

- Et  bien entendu, tu n’as pas pensé à demander son numéro, ou son compte instagram ?

- En plein milieu d’une séance de dédicaces c’est pas simple en même temps.

- Un peu de bonne volonté c’est trop te demander ? Tu as son prénom au moins ?

- Oui, quand même ! Il s’appelle Lucas.
T'as essayé de le chercher sur insta ?

- Comment ?

- Comment tu peux être aussi intelligent et aussi con à la fois ?

- HÉ ! Sois moins vague aussi toi !

- Regarde dans tes abonnés, cherche un Lucas et s’il a insta, tu le trouveras forcément. Bon, ça peut-être long mais qu’importe.

- Mec t'es un génie !

- Non, tu es juste très con. »

Eliott se sentit mieux après cet échange avec son meilleur ami. Il avait toujours eu le don de le secouer quand il le fallait, et là, il le fallait. Il ouvrit instagram et se rendit sur sa longue liste d’abonnés. Il n’avait jamais remarqué qu’il était possible de rechercher des personnes au sein même de la liste. Il y trouva une bonne centaine de Lucas. Ce prénom était décidément trop commun. Il inspira un grand coup et commença a défiler la liste, en vérifiant les profils de ceux qui auraient pu être celui du garçon. Au bout du trente et unième profil, il le trouva enfin. Et il était encore plus beau que dans ses souvenirs. Il observa scrupuleusement chacune de ses photos, pour affiner le portrait qu’il s’était dressé de lui. Il était moins solitaire qu’il ne le pensait. Sur de nombreuses photos, il était avec ses amis, et semblait y prendre beaucoup de plaisir. Il ressentit une étrange satisfaction en constatant qu’il ne semblait pas avoir de partenaire, ou du moins, qu’il ne m’affichait pas. « T'es ridicule », se dit-il intérieurement. Et, au milieu de toutes les publications, il remarqua un détail qui attira son attention. Un grand nombre de photos représentaient un carnet et un stylo, toujours dans un décor différent. Écrivait-il, lui aussi ? Cela attisa encore davantage sa curiosité. Pris d’un élan d’audace, il ouvrit la messagerie pour lui écrire. Mais il remarqua alors que Lucas l’avait fait avant lui. Un message. Un seul. Il datait du jour de leur rencontre. Très formel, le genre de message d’un fan à un artiste. Il hésita un instant, puis se lança.

« Salut Lucas. Je viens de voir ton message, que tu as probablement déjà oublié, mais je voulais y répondre. Merci à toi d’être venu, et merci pour tes mots. C’est pour ça que j’écris. À bientôt j’espère ! »

Il envoya le message. Le sien aussi était formel, et surtout, il n’engageait aucune discussion. Si de nombreux fans auraient essayé à tout prix d'y répondre quand même, il avait l’intuition que Lucas n’était pas de ce genre. Alors il en envoya un second.

« J’ai vu que tu postais pas mal de photos d’un carnet. Tu écris toi aussi ? »

Il verrouilla ensuite sont téléphone, un léger sourire aux lèvres. Sa propre audace le surprenait, Lucas allait savoir qu’il avait observé son profil, mais tant mieux. Il en avait assez de passer à côté de sa vie en écrivant celle de personnages fictifs. Il était temps de vivre à nouveau, alors il allait essayer.

Sur tes lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant