Deuxième Souvenir

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J'avais toujours détesté les bals. Non que je n'aimais pas danser, au contraire, j'adorais danser. Ce qui me dérangeait c'était l'obligation d'écouter des heures de discussions futiles, tentant de camoufler mon ennui sous un large sourire. Avec le temps, j'étais presque devenue douée à ce jeu-là. Plus encore que j'étais loin d'être moi-même, je prétendais en être une autre. Et, même si je paraissais apprécier le fait d'être là, d'écouter les dernières rumeurs, c'était loin d'en être le cas. Même si je m'y pavanais avec aisance, yeux maquillés et cheveux tressés, j'étais particulièrement indifférente à toute cette comédie qui s'opérait autour de moi. Pire que cela, je méprisais l'hypocrisie ambiante et je ne désirais qu'une seule chose: fuir ce douloureux spectacle qui, malgré les apparences, relevait d'avantage du genre tragique que du comique.

Les bals constituaient la scène principale de la lamentable pièce. De longues robes, pourvues de dentelles, de soie et de frou-frous, flottaient au rythme d'une musique classique, que, naturellement, j'aimais beaucoup et que je détestais voir être dénaturée par son usage lors de ce genre d'évènement. Un bonheur exagéré emplissait l'air, le rendant désagréablement lourd. Mais personne ne semblait le ressentir, excepté moi-même. De toute manière, ils étaient bien trop occupés à tenter de satisfaire d'avantage cette belle image que tous s'efforçaient de construire.

Je me tenais aux côtés de ma mère, écoutant avec moindre attention l'une de ses amies. La discussion semblait pourtant très mouvementée, vu l'énergie que la femme plaçait dans ses paroles. Mais ce qui absorbait toute mon attention, c'était l'étude comportementale de ses deux fils. Les jumeaux, dont le sommet du crâne n'arrivait pas aux genoux de leur mère, se trouvaient chacun d'un côté de la jupe bleue ciel. Leurs petites mains potelées agrippaient le tissus avec acharnement, comme de drôles de singes accrochés à leur arbre trop grand. Lorsqu'elle s'avançait, ils avançaient avec elle. Lorsqu'elle se reculait, ils reculaient également. C'était impressionnant de voir à quel point ils étaient reliés à elle, non seulement physiquement, mais aussi par ces longs regards amoureux qu'ils lui adressaient si souvent.

M'interrompant dans ma passionnante observation, un jeune blond a soudain surgi devant moi, m'invitant à danser. D'habitude, je m'efforçais d'accepter ce genre d'invitation, encore plus lorsque ma mère se trouvait à mes côtés. Or, à cet instant, j'en avais marre de jouer dans ce théâtre trop grand pour moi, marre de prétendre. J'étais simplement épuisée.

Alors, suivant mes véritables sentiments, j'ai poliment refusé, sous le regard outré de ma génitrice. Une fois le jeune garçon parti, elle m'a brusquement agrippé le bras, utilisant cette prise pour m'emmener plus loin, après s'être excusée auprès de l'arbre aux singes pour ce précipité départ.

— Tu me fais honte, avait soupiré ma mère, une fois que nous étions éloignées de tout regard. C'est le devoir des demoiselles de participer au bal !

Je n'ai pas répondu, consciente de l'ampleur de la déception que je provoquais chez elle. Alors qu'elle aurait déjà dû lâcher mon bras, sa poigne s'est renforcée d'avantage.

— Pourquoi ne peux-tu pas simplement être une fille normale ? Qu'ai-je fait de mal pour que le Seigneur me donne pareille enfant ?

Silence. Quelques larmes s'écoulaient sur les joues de ma mère tandis que les miennes restaient cachées dans mon coeur. Son regard attristé cessant enfin de me paralyser, j'ai répondu:

— Je suis désolée de ne pas être celle que tu aimerais que je sois. Je suis désolée de ne pas te rendre heureuse.

Puis, je suis partie. Les larmes inondaient encore mon coeur lorsque je suis allée danser avec le blond qui m'avait auparavant invitée, souriante comme je me devais de l'être. Comme je lui devais de l'être.

De loin, j'observais mes parents. Feignant le bonheur, ma mère posait sa tête sur l'épaule de mon père avec ce qui, vu de l'extérieur, s'apparentait à de la tendresse. Moi, je n'y voyait que du cinéma, qu'une tentative de prouver une fois de plus au monde entier à quel point elle était épanouie. Cela m'a rendue triste, de la voir ainsi, actrice d'un film dramatique, actrice de sa propre vie. Et, ce qui me tuait d'avantage, c'était son regard qui, parfois, me murmurait:

— J'espère que tu seras plus heureuse que je ne le suis.

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