Avec l'effet de la panique, Feodor en oublie même la présence de Loane. Il appelle Carmin à le suivre et ils quittent tous ensemble le somptueux salon à la hâte. Feodor court si vite que respirer devient pour lui compliqué. En tant qu'ainé modèle, il est capable de reconnaître la voix de Primaël dans toutes ses déclinaisons possibles et, il en est persuadé, le cri qui les a interrompus provenait de son petit frère.
Plus alarmant que le précédent, un deuxième cri, provenant du hall, leur indique le chemin à suivre. Durant quelques secondes, Carmin fixe son aîné de ses durs yeux bleus, lui faisant alors comprendre que lui aussi craint que leur frère ne soit en danger. En arrivant dans le hall, leur hypothèse se confirme lorsqu'ils voient Primaël, un large canon pressant sa tempe rougie. Son bourreau, bien plus grand que lui, semble avoir dépassé la cinquantaine, comme l'indiquent les longs cheveux grisâtres qui encadrent son visage. Sa main gauche tient fortement la chemise de sa victime. La droite, elle, maintient son arme avec fermeté, l'index posé sur la détente.
— Où est ma fille ?
L'homme, bien que visiblement tourmenté, garde un visage impassible, fermé, indifférent. Même lorsque de liquides perles, trésors de sa tristesse, se mettent à courir le long de son impénétrable forteresse, son regard conserve l'intégralité de sa froideur. Il ne peut pas se permettre de faillir, pas maintenant. Cela fait des jours que sa fille, sa seule, incroyable, magnifique fille a disparu. Temps, énergie et persévérance lui ont été usé pour lui permettre de se tenir dans ce hall, sous ce grand lustre tout aussi superflu et futile que la richesse qu'il tente d'exhiber. Tenir si proche de lui ce parasite d'Avaroz lui donne envie de lui coller une balle dans le crâne. Mais il garde à l'esprit le portrait de sa fille et, bien que cela paraisse sot, imaginer le doux visage de son enfant lui permet de garder le contrôle.
— Votre fille ? articule calmement Feodor. Voulez-vous parler de la jolie rousse aux incroyables yeux verts ?
L'homme acquiesce, pressant davantage son arme contre le visage du cadet, ce qui fait grimacer le jeune blond. Pourtant, même conscient de sa position avantageuse, l'homme se sent vulnérable: il connaît ses ennemis. Après tout, qui ne les connaît pas à Varezh ? Ces hommes qui font ce que bon leur semble, saccageant les notions de morale et de respect. Ces hommes que personne n'ose arrêter, contre qui personne ne s'élève. Ces hommes redoutables, terrifiants qui pourtant, si l'on fait abstraction de ce qu'ils font transparaître, ne sont que des gosses. Des gosses qui ont été piétinés, anéantis par un milieu de vie névrosé. Des gosses qui ont perdu jusqu'à leur propre nature, au point de devenir des monstres.
— Où est-elle ? Où est ma fille ?
Un odieux sourire s'esquisse alors sur le visage de Feodor, qui s'empresse de répondre:
— Avant de vous le dire, j'aimerais d'abord vous décrire à quel point elle était délicieuse. Elle m'a beaucoup parlé de vous, vous savez. Elle me disait que vous alliez venir la sauver. Elle ne cessait de répéter que je devais avoir peur de votre venue. Si seulement... si seulement vous étiez arrivé avant que je ne la tue.
À ces mots, le père, bouillonnant de rage, s'apprête à appuyer sur la détente. Mais, avant même d'avoir pu le faire, il est projeté en arrière par une brutale force. Son crâne heurte douloureusement le carrelage, ce qui le force à lâcher son arme. Son premier réflexe est de vouloir la récupérer. Mais, tandis qu'il commence à se relever avec vivacité, il est repoussé avec violence vers le sol. Criant de douleur, l'homme aux cheveux gris tente de se défendre, en vain. D'un bref coup de mâchoire, Carmin lui arrache la jugulaire. Le pauvre homme n'a même pas le temps de se remémorer une dernière fois les yeux verts pour lesquels il a donné sa vie. Il est déjà mort.
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Ville Noire
Ciencia Ficción1973, Union Soviétique. Après l'explosion de son usine, la ville de Varezh se retrouve plongée sous une toute aussi interminable qu'inexplicable pluie de cendres. On découvre alors que la façade de l'usine, pourtant à l'allure singulière, dissimulai...