Chapitre 16

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Rahim
Safie ne cesse de me surprendre de jour en jour, elle a préparé le Attiéké juste parce que je lui ai un jour dit que c'était mon plat préféré.
En plus elle est un vrai cordon bleu.
Que je l'aime cette femme!
J'ai hâte qu'elle devienne enfin mienne. C'est pourquoi je vais anticiper les choses et demander sa main aujourd'hui.

Celle qui m'a aussi surpris c'est sa mère. Depuis qu'elle m'a demandé mon nom de famille et que je lui ai dit, elle a totalement changé d'air. J'essaie de la comprendre mais n'y arrive pas.
Son père quant à lui, reste muet.
Seul, Abdoulaye s'efforçait de mener une discussion normale avec moi, mais on sentait nettement qu'il était gêné.

Une demi-heure après qu'on ait fini de manger, Safie nous rejoint dans le salon un plateau de jus à la main.
Elle nous sert puis s'assoit à mes côtés.
Je voyais sa mère lui jetait des regards qui en disaient longs.
Puis elle décide de briser le silence:

Safie: papa, maman voici Abdou Rahim Guis...

Avant même qu'elle ne termine sa phrase, sa mère la coupe:

maman de Safie: hey, tu la fermes. Lorsque tu vantais ses mérites devant moi, tu avais oublié de mentionner qu'il n'était pas de sang noble.

Abdoulaye: maman...

maman de Safie: ne m'interrompt surtout pas Laye.
Je peux accepter qu'il soit beaucoup plus âgé que toi ou qu'il soit marié je ne sais pas moi, mais je n'accepterai p...

papa de Safie: ça suffit Yacine! C'est quoi ces manières?
Tu pouvais au moins attendre que ce monsieur nous dise quelles sont ses intentions.

Pendant tout le temps qu'ils parlaient, Safie avait les yeux grands ouverts.
On pouvait noter qu'elle était dépassée.
Puis son père de continuer:

...: dis-moi Abdou Rahim qu'est-ce qui t'amène chez moi?

Moi: merci Papa, si je suis chez vous aujourd'hui, c'est pour une chose bien précise: demander la main de votre fille ici présen...

maman de Safie: "boul sakh aguali, amelounioula diabar" (ne continue surtout pas, tu n'auras pas de femme chez nous).

Papa de Safie: bon sent Yacine tais-toi!
Bon, je vais pas tourner au tour du pot mon fils mais il me sera difficile de t'accorder la main de ma fille.
Tu es "toucouleur" et sais mieux que moi que le respect envers la tradition prime sur tout. Ce qui fait que nous ne nous mélangeons pas aux autres castes.
Donc j'aimerais bien que vous vous éloigniez l'un de l'autre.

Je regardais Safie qui pleurait comme une madeleine et me sentais impuissant.
J'avais juste envie de la serrer dans mes bras et lui dire que tout ce qui vient de se passer ne diminue en rien l'amour que j'ai pour elle.
Je décide de me lever et dis à son père:

moi: je vous comprends parfaitement Papa.
Sachez que je ne vous en veux aucunement.
Je vous laisse.

Je sors de chez eux et entre dans ma voiture l'esprit ailleurs.
Il faut que je me vide la tête.
Je démarre ma voiture pour une destination inconnue.

Safie:
Je suis dépassée par ces événements.
L'histoire se répète encore une fois. Les parents de Chérif n'ont pas voulu de moi et les miens ne veulent pas de Rahim.

Suis-je maudite? N'ai-je pas droit au bonheur?...
Tant de questions se bousculent dans ma tête.
Je décide de me lever quand mon père me dit:

papa: assis toi ma fille.

Je m'exécute puis il continue

...: tu sais ma fille, tu es assez intelligente et mature pour comprendre que les liens du sang sont forts et qu'il ne faut en aucun cas les briser. Épouser cet homme reviendrait à les briser et j'ose espérer que ce n'est pas ce que tu veux.
Cela a toujours marché comme ça, les nobles ne se mélangent jamais aux autres.

moi: papa vous êtes mes parents et je me dois de vous respecter et me plier à votre volonté.
Mais je me dois aussi de vous dire la vérité et sur ce coup vous êtes vraiment passés à côté.
Papa tu as appris le Coran et sais très bien qu'en matière de mariage, la religion musulmane, ne fait aucune distinction entre les hommes.
Alors pourquoi vous me faites cela?

maman: tu la boucles idiote!C'est à ton père que tu fais la morale, "ma warou man"(je suis dépassée).
Lève toi et sors d'ici! Puis, que je ne vois plus fréquenter ce casté, éloigne toi le plus loin possible de lui.
"Niak diom"(sans vergogne).

Je sors du salon, entre dans ma chambre et m'allonge pour pleurer toutes les larmes de mon corps.

Abdoulaye Ly
Je suis tout aussi dépassé que Safie.
Mes parents m'ont vraiment déçu surtout ma mère.
Comment peut-elle se permettre de rabaisser cet homme de la sorte.
J'ai vraiment honte.

Je suis les pas de Safie et la trouve en position fœtale sur le lit entrain de hoqueter.

moi: tu sais sœurette, ça ne sert à rien de te morfondre.
Tu ferais mieux de te lever et prendre ta vie en main. Tu es trop jeune et tu as tout l'avenir devant toi.

Elle se lève et me sert fort dans ses bras.
J'ai vraiment pitié d'elle.
C'est la deuxième fois que ça lui arrive.

Elle: Laye, j'aimerais bien savoir s'il est écrit dans le Coran...

Elle craque avant même de pouvoir terminer sa phrase.

moi: chut ma puce!
Je vais t'expliquer d'où vient ce système de castes.

Ces dernières correspondraient à une certaine division du travail social.
Ainsi, la fonction d'encadrement, l'autorité politique autrement dit, aurait initialement appartenu aux "Ceddos".
Se substituent à eux les "Toroodos" (comme nous) qui s'emparent en outre de l'autorité religieuse. Étaient considérés comme Toroodos, seuls, ceux qui étaient instruits en Islam. C'est d'ailleurs pourquoi ils étaient situés au sommet de la hiérarchie sociale Toucouleur.
Les "Jawandos"auraient intégré par la suite cette classe dirigeante politique et religieuse, au titre de conseillers avertis des princes toroodos. Ils officiaient comme courroies de transmission entre les différentes castes.
Les "Cubballos", en qualité de maîtres incontestés des eaux forment le quatrième élément de l'encadrement social toucouleur.

Après les castes d'autorité à savoir les Toroodos, les Ceddos, les Jawandos et les Cubballos viennent les travailleurs manuels, dont la spécialité dépend évidemment de la matière qu'ils doivent transformer.
Ce sont:
-les tisserands (maabo) comme ton Rahim;
-les forgerons et orfèvres (wayilbe);
-les peaussiers (sakkeebe);
-les boisseliers (laobé);
-les céramistes (buurnaabe).

A ses différents travailleurs manuels viennent se joindre ceux que l'on pourrait appeler les techniciens de la diffusion, c'est-à-dire tout à la fois les musiciens, chanteurs, et autres amuseurs publics que l'on appelle les "Gawlos" (griots chez les wolofs).

Enfin, au bas de l'échelle se situe les (macudos), caste des serviteurs, c'est-à-dire les esclaves de tous ordres.

Cette hiérarchisation a fait que les castes d'autorité se croyaient supérieures aux autres qu'ils jugeaient inférieurs.
Ils refusaient le mélange des classes sociales, de sangs pour veiller à la pureté de la race, de l'ethnie.
Et c'est ce que certains de nos parents essaient de conserver jusqu'à présent.

Elle: mais c'est révolu Abdoulaye et ces croyances ne font que retarder notre société.

Je la serre contre moi et lui dit: je sais sœurette, j'en suis conscient.
Mais on y peut rien.

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