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" Tu flashes sur tout c'qui bouge comme un radar en zone 30 " – Orelsan

Les deux premiers week-ends qui ont suivi son aménagement, Bastien n'est presque pas sorti, hormis pour rendre quelques visites à Nappo (j'ai appris que c'est un chien) et le promener un peu.

Le premier samedi, il a déballé ses cartons. Il lui a fallu pas mal de temps pour trouver un endroit adapté pour sa collection Star Wars. Parce qu'il disait qu'il lui fallait une place "spéciale" et surtout parce que j'aime que les choses soient rangées de manière cohérente. Chaque chose à sa place. On ne mélange pas les Chewbacca et les Ryan Reynolds. Aussi, je ne voulais pas que sa collection se retrouve dans ma bibliothèque à côté de mes livres de psychologie, ni dans le meuble télé où se trouvaient déjà mes DVDs. Des films dans lesquels mon acteur favori ne joue pas systématiquement mais qui ont, quand même, pour point commun de ne pas mettre en scène des sabres laser. Je ne voulais pas non plus voir son bordel sur le bar qui sépare le salon de la cuisine, ni dans l'entrée, sur le buffet Louis XV hérité de mon grand-père . Finalement, sa collection a emménagé dans sa chambre.

J'ai aperçu toutes ses figurines sur son chevet un matin, par sa porte entrouverte. On aurait dit une chambre d'ado. La couette était en boule sur le lit et des fringues traînaient par terre. Quand je pense que je m'en étais voulu de maltraiter sa veste en l'utilisant comme serpillère... C'est tout ce que j'ai pu voir de son antre. Puisque je lui ai interdit de pénétrer dans ma chambre, je peux difficilement entrer dans la sienne quand ça me chante.

Le dimanche suivant son aménagement, il a monté un meuble, fait un aller-retour jusqu'au magasin de bricolage parce que, non, désolée, je n'avais pas d'outils chez moi (que ferais-je d'un tournevis américain ? Et un suédois, ça aurait peut-être été plus approprié, non ?), rempli les placards que j'avais mis à sa disposition de quelques courses (surtout des barres chocolatées ) et s'est reposé dans sa chambre. C'est ce qu'il a dit, en tout cas. Mais je le suspecte d'avoir joué avec ses figurines Star Wars tout le reste de la journée.

Nous avons passé le week-end dernier ensemble. J'ai proposé une petite balade improvisée entre deux averses. Je lui ai montré les commerces du quartier, les bonnes adresses, comme l'épicerie bio " Chez Vincente " qui propose des pâtes fraîches à tomber venant tout droit d'Italie. Il m'a suspectée de trouver Vincente à tomber. J'ai répondu qu'on pouvait très bien être un beau brun ténébreux aux yeux verts et vendre de bonnes pâtes. Mais j'ai comme l'impression qu'il ne mettra plus jamais les pieds dans cette épicerie.

Je suis passée rapidement devant les boutiques à éviter, histoire de le prévenir, par exemple, que les baguettes de la boulangerie à l'angle de la rue, pourraient servir à faire de la batterie dans une fanfare.

Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés pour boire un délicieux cappuccino chez " Couleur Café ". Il a tellement souri à la serveuse que je suis certaine qu'il reviendra. Je le lui ai fait remarquer et il a répliqué, avec l'œil qui frise, qu'à sa connaissance, on pouvait parfaitement être une jolie blonde aux longues jambes et servir un très bon café.

Et puis, en rentrant, je lui ai montré comment fonctionnent la machine à laver, l'aspirateur et l'abattant des toilettes - juste pour être sûre. J'ai essayé d'imiter son intonation : " à ma connaissance, on peut très bien être un homme doté de yeux couleur Nutella, d'un cerveau et de mains en parfait état, et ne pas savoir faire ça ". Il a ri.

Pour finir, nous avons dîné sans allumer la télévision. C'est un fait plutôt rare pour moi mais je n'ai pas ressenti ce vide que j'éprouve parfois sans un bruit de fond familier.

Ce samedi en fin de matinée, Bastien m'annonce après avoir passé huit minutes dans la salle de bains - soit quatre fois plus de temps qu'à l'accoutumée :

— Mon pote Fabien vient me chercher. Je ne vais pas trop être là ce week-end...

Je relève les yeux du magazine que je suis en train de feuilleter, tout sourire. Je suis soulagée. Enfin du temps rien que pour moi ! Je pourrais retirer mon soutien-gorge, me balader en jogging et grosses chaussettes toute la journée et manger du gruyère au goûter !

Je lui fais part de mes projets ( à quelques petits détails près) :

— Super ! Je vais pouvoir mettre de la musique à fond, me trémousser en petite culotte dans le salon et me préparer un super fondant au chocolat sans risquer que tu m'en piques !

Il sourit et ajoute avec un clin d'œil :

— Si tout se passe comme prévu, t'auras peut-être même l'appartement pour toi toute seule jusqu'à dimanche !

Il réajuste le col de sa chemise. Minute ! Il a mis une chemise ? Il espère donc passer la nuit avec une fille ? Ce qui justifie apparemment de tuer mes plantes vertes en saturant l'oxygène de l'appartement de déodorant Axe. Ce n'est pas la pollution, la responsable de la dégradation de la couche d'ozone. Ce sont les publicitaires de la marque qui ont fait croire à tous les hommes qu'en s'aspergeant généreusement de ce truc, les filles tomberaient comme des mouches.

J'ai envie de me moquer de lui mais son pote Fabien sonne à l'interphone.

— J'arrive, bouge pas ! Même si t'as la boule à zéro, tu as encore trop de poils pour être autorisé à monter !

Je me redresse sur le canapé.

— S'il a le crâne rasé, je peux faire une exception !

Je suis soudain curieuse de voir à quoi ressemble le copain de Bastien.

Il se rapproche de nouveau de l'interphone.

— Bon, t'as de la chance ! Ma coloc' fantasme apparemment sur les boules à zéro ! ( je lui jette un coussin au visage qu'il intercepte malheureusement sans difficulté et me le renvoie avec une force dédoublée, droit sur ma tête ) Deuxième étage. Première porte à gauche.

Quelques instants plus tard, il ouvre à son copain qui siffle en le reluquant de la tête aux pieds.

— T'as mis le paquet. T'espères conclure avec qui ce soir, dis-moi ?

Bastien lui fait de gros yeux.

— Bah quoi ? Désolé, vieux, j'ai du mal à suivre. T'as un coup de foudre toutes les deux heures !

Je ricane malgré moi depuis le canapé, signalant ma présence.

— Ah, c'est la fameuuuuse Clémentine ! Enchanté, me lance le copain depuis l'entrée.

Je lui retourne la formule de politesse, même si je ne suis pas sûre d'être si enchantée que ça. Qu'est-ce qu'il a voulu dire en insistant sur la "fameuuuuse" Clémentine ? Et c'est quoi cet échange de regards complices que j'ai cru intercepter entre les deux amis ?

Mon colocataire se contente de secouer la tête en enfilant une veste légère. Trop légère pour la saison. Il va peut-être conclure mais il va chopper la crève. Tant pis, je ne suis pas sa mère. D'ailleurs, si cela avait été le cas, je n'aurais probablement pas ruiné son autre veste...

Bastien se passe la main dans les cheveux, un peu embarrassé.

— Bon, bah... bonne journée. A ... A plus !

— Oui, c'est ça, à plus ! File, que je puisse commencer à me mettre en petite culotte ! dis-je en essayant de me rappeler où j'ai rangé mon pantalon de jogging molletonné.

(A)muse-moi ! (terminé) * Finaliste concours Fyctia "Sorcières" *Où les histoires vivent. Découvrez maintenant