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" D'une confidence à une indiscrétion, il n'y a que la distance de l'oreille à la bouche" - Jean Antoine Petit

J'ai passé la journée à travailler. J'ai peaufiné la biographie d'Aurélien Dasc que je dois rendre à l'éditeur sous treize jours. J'ai essayé de pimenter autant que possible ses anecdotes et me suis assuré qu'il n'y avait plus aucun problème de chronologie ou d'incohérences dans le récit. Compiler nos huit heures d'entretien mises bout à bout n'a pas été une mince affaire. Quand on m'a proposé de m'intéresser à une star internationale de l'électro, j'ai d'abord pensé que j'allais enfin m'amuser un peu en écrivant la bio de quelqu'un. J'imaginais des soirées arrosées, des scandales, des révélations croustillantes sur d'autres célébrités. En trois mots : sexe, drogue et rock'n roll. Loupé. Même s'il bosse beaucoup la nuit, Dasc explique qu'il s'astreint à une hygiène de vie très stricte pour rester en forme et voyager autant qu'il le fait. J'ai mis l'accent sur ses destinations paradisiaques et par chance, son manager m'a raconté quelques aventures un peu plus glamour : les petites culottes des fans qu'il recevait parfois en cadeau et les after-party où ils étaient souvent conviés, même si Dasc déclinait le plus souvent l'invitation. Ce gars ne fait apparemment jamais d'excès. Il est même devenu vegan ! A mon plus grand malheur, j'ai dû rédiger un chapitre tout entier sur cette nouvelle lubie.

Heureusement que j'étais éveillé quand il m'a parlé de Clémentine. C'est à partir de ce moment-là qu'écrire la bio de Dasc a réellement pris un intérêt pour moi. Je n'ai pas tout de suite fait le rapprochement. C'était beaucoup trop gros pour être vrai. Pourtant, j'avais très bien retenu son nom après m'être rendu compte que Bouvier, le peintre, et Deval, l'architecte, avaient tous les deux partagé la même ex en réécoutant les enregistrements de nos entretiens. J'avais demandé plus de détails au troisième. La description collait parfaitement. Pas très grande. Brune. Mince. De jolis yeux verts. Un nez mutin. Un petit grain de folie.

Maintenant que j'y repense, ce qui me saute aux yeux, c'est l'absence totale de rancœur de ces mecs à l'égard de Clémentine qui les a pourtant tous les trois largués à des moments un peu difficiles de leurs vies. Je connais peu de gens qui gardent autant d'affection et de respect pour leur ex, surtout si cette dernière est à l'origine de la rupture. Mais à présent que j'apprends à connaître la muse, je comprends de mieux en mieux qu'il doit être difficile d'en vouloir à une fille comme elle. Elle est spontanée, franche, drôle, honnête et semble ne rien calculer.

Je consulte mes mails. Fabien me harcèle pour que je lui ponde des articles originaux. Je crois que Le Petit Hebdo se porte de moins en moins bien. J'ai eu vent que plusieurs journalistes free-lance avec lesquels il travaillait n'ont pas donné signe de vie depuis un moment, préférant sans doute tenter leur chance vers un journal qui paie mieux. Du coup, il reçoit moins d'articles intéressants à publier et le journal se vend moins bien, faisant fuir de potentiels bons papiers de nouveaux pigistes. C'est un cercle vicieux. J'espère vraiment que Fabien va s'en sortir mais j'avoue que pour le moment j'ai d'autres soucis. Entre mes plans avec la muse et cette satanée bio, je n'ai pas tellement le temps de trouver un scoop. D'ailleurs, Fabien semble avoir oublié que ça ne se trouve pas à tous les coins de rues.

J'en suis là de ma réflexion lorsque Clémentine passe la porte. Je me demande souvent comment elle fait pour afficher constamment ce joli sourire alors qu'elle doit entendre des trucs horribles toute la journée au boulot. Je me lève pour l'accueillir. Ce soir, j'espère réitérer l'exploit de samedi soir et l'embrasser à nouveau. Mais j'ai l'impression que Clem' fait partie de ces femmes qu'il faut mettre en condition.

— Bonsoir ma belle, tu as passé une bonne journée ?

Elle me détaille d'un drôle d'air, un peu surprise, un brin moqueuse aussi. C'est vrai que ce n'est pas dans mes habitudes d'être aussi mielleux. Elle dépose son sac à main et son manteau dans l'entrée puis retire ses chaussures.

(A)muse-moi ! (terminé) * Finaliste concours Fyctia "Sorcières" *Où les histoires vivent. Découvrez maintenant