Chapitre 15

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« Les réconciliations ont un intérêt tout spécial et qu'il faut savoir apprécier. Ce sont des rechutes légères dont on revient complètement guéri. » Henry Becque

Lorsque la voix de Jane Rizzoli éclata dans le silence du département d'autopsie, plus précisément dans la zone d'examen, le docteur Maura Isles se mordilla la lèvre, indécise. Depuis deux jours, l'éventualité d'échanger avec son amie sur le quiproquo lui torturait les méninges. Pour parer à toute éventualité, le légiste avait acheté la magnanimité de Riley Copper, la nouvelle venue à la brigade qui n'avait que peu de lien avec Jane. La chose était simple : appeler Maura si l'inspecteur Rizzoli empruntait l'ascenseur donnant accès au sous-sol.

L'appel venait d'avoir lieu et avec celui-ci, la mise en avant de sa pièce maîtresse : Suzie.

À présent, la technicienne faisait face à la grande brune, un sourire contraint sur son visage de scientifique intimidée par l'inspectrice.

Maura Isles était à présent accroupi contre le mur de son bureau, sa blouse blanche effleurant le sol de son bureau tandis que ses talons aiguilles se révélaient très inconfortables dans cette position. Quelques minutes passèrent sans qu'aucune action ne fût menée. De guerre lasse, Jane avait-elle abdiqué à parler avec Maura ? Ou bien s'agissait-il d'un subterfuge afin d'inciter la proie à se dévoiler ?

En guise de réponse, quelques coups sur la vitre forcèrent la légiste à relever la tête. Le visage plaqué contre la séparation, le nez à demi écrasé par l'effort, Jane Rizzoli observait sa victime. Maura déglutit et se redressa, lissant au passage son ensemble Étro tout de soi cousu, agrémenté d'un délicat imprimé feuillu aux couleurs pastels.

Quand la porte du bureau s'ouvrit sur Jane, Maura jeta un regard courroucé à une Suzie percluse de contritions. Sur ses lèvres, la légiste lut : "Elle est trop forte". À la bonne heure, il ne lui restait plus qu'à confronter son amie une bonne fois pour toutes. Après tout, de plus dures épreuves lui avaient été imposées, laissant cette discussion au stade d'échauffement.

"Une pancarte 'Défense d'entrée' aurait fait tout aussi bien l'affaire, débuta Jane en s'avançant, les bras croisés en direction de sa meilleure amie drapée dans une dignité tout exemplaire.

— Et laisser une occasion de flirter avec le premier venue ? argua Maura en haussant des sourcils faussement étonnés. Voyons, tu me connais mieux que ça. Je suis une aguicheuse née, rappelle-toi."

Et tournant les talons, la légiste prit le parti de s'installer sur sa chaise de relaxation, ressentant le besoin plus que jamais d'en appeler à la méditation. Jane lui emboita le pas.

Le médecin, debout face à sa chaise longue réversible se trituraient les lèvres, plongée dans une intense réflexion : elle ne pouvait tout simplement pas s'allonger sur la machine sans risquer d'abîmer sa robe. Au diable les bonnes résolutions, Maura se tourna et fit face à Jane qui, prise au dépourvu par le revirement soudain de son amie, la heurta de plein fouet. Agrippant les biceps de l'inspectrice, la légiste se retint de tomber et stabilisa son équilibre. Une chute d'évitée. Mais la suite la prit totalement au dépourvu.

Jane l'attira en un geste brusque et autoritaire dans ses bras, l'encerclant, la serrant tout contre son torse, écrasant leur poitrine jusqu'à les confondre. Maura hoqueta de surprise puis, se détentant peu à peu, rendit l'étreinte avec tout autant de force. C'était une façon comme une autre de procéder à des excuses.

Le nez de Jane souleva la chevelure dorée de la légiste afin d'atteindre l'oreille de cette dernière : "Tu m'as manqué

— Toi aussi, répondit Maura en immisçant son propre visage dans le cou de son amie. Tu peux être une vraie tête de mule quand tu veux.

— C'est la définition même d'être une Rizzoli, se défendit Jane en se reculant, accueillant le sourire de Maura comme un pardon. Je suis désolée de m'être emportée l'autre fois. Je suppose que...

— J'aurais eu la même réaction si tu avais agi de la sorte avec une autre personne, la rassura Maura qu'une mûre réflexion avait en effet conduit à cet état de fait. Je suppose qu'il faut s'accommoder de ces petits travers si nous voulons être ensemble."

Jane scruta le regard ambré du médecin, hésitant à révéler la pensée qui ne cessait de l'inquiéter. L'appréhension était palpable, aussi ce fut Isles qui attaqua le point sensible : "Jane, je suis profondément certaine de mes sentiments à ton égard. Je t'aime et j'ai envers toi un attachement inégalé. Mais je suis une femme dont la vie n'a été jonchée que d'histoire d'amour éphémère. Tu es la meilleure amie ; avec toi, tout est facile et terriblement compliqué. C'est un peu comme mon histoire avec Hope, tu vois. Rien n'est réellement simple, mais je veux y croire. Tu m'attires, ton corps m'envoute, tes lèvres sont un appel au vice. Mais les hommes me plaisent aussi." Rizzoli tressaillit sans toutefois détourner le regard. Si Casey avait été cet employé des services mortuaires, elle aurait réagi exactement comme Maura. La séduction étant un penchant inné chez certaines personnes et les deux femmes aimaient plaire à autrui. Ce n'était plus une question d'attirance, mais de flatterie à ce stade. "Jane, regarde-moi, insista le docteur Isles. Je ne veux pas te perdre en tant qu'amie... et encore moins en tant qu'amante.

— Je suis possessive Maura, tu le sais, se défendit Jane en embrassa furtivement les lèvres de sa compagne. Je suis exclusive et j'ai trop souffert par les non-dits. Quand je t'ai vu badiner avec cet homme, j'ai eu peur de te perdre.

— Badiner, comme tu le dis si bien, est un acte naturel pour tout être humain. Je ne me serais pas pour autant jeté dessus. J'ai flirté tout innocemment sans arrière-pensée.

— Je n'aime pas ça."

Cette honnêteté touchait Maura. Son point de vue était limpide, car ses intentions étaient innocentes, mais si cela contrariait, voire peinée Jane, elle pourrait envisager de réprouver des élans trop intempestifs à l'encontre du sexe opposé.

"Tu aurais enduré que je sourie à Casey de cette façon, reprit Jane en sondant le visage de son interlocutrice. Non hein ?! Je l'ai vu le soir où nous étions chez moi et qu'il a débarqué sans crier gare. J'ai ressenti la même chose l'autre jour.

— Nous allons repartir sur une bonne base, en conclut Maura, touchée par cette comparaison qui l'avait en effet affectée. Elle tenait réellement à Jane et l'idée que cette dernière retourne avec le militaire la mettait dans un état proche de la panique. À cet instant, le docteur Maura Isles conçut la complexité d'un attachement amoureux profond partagé. Jane et elle partageaient cette même vision du couple. 'Et pour commencer, que dirais-tu d'une soirée dédiée à un échange de fluide ?

- Maura ? débuta Jane souriante.

— Hum ? Quoi ? ronronna cette dernière, échauffée à l'idée du partage en devenir.

— Tu sais que certains mots sont propices à me faire déchanter n'est-ce pas ? Comme le mot 'fluide'.

— Et bien, je suppose que je devrais revoir cette dénomination, reconnue la légiste en passant le bout de sa langue sur les lèvres de l'inspectrice. Mais à la réflexion, nous allons privilégier les démonstrations au profit des explications.

RIZZOLI & ISLES : en eaux troublesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant