Reagan White

Chapitre 8

À peine quelques minutes plus tard alors que nous marchons au milieu de la forêt qui entoure notre camp, je sens le goût salé de mes larmes dans ma bouche. J'aimerais me montrer plus forte que cela, prouver à l'équipe qui m'accompagne que je suis digne de la mission qu'on m'a donné mais je ne peux pas. Je ne parviens pas à retenir mes larmes. Mon corps m'oblige à pleurer en silence. Au moins, personne ne le remarque où bien, ils font comme si de rien n'était.

Je sens une présence à côté de moi pour la première fois depuis notre départ. Jusqu'à maintenant, chacun s'est tenu à sa place initiale. C'est-à-dire à l'avant ou à l'arrière. Je suis la seule à être au centre. Ça me rappelle ma solitude. Je vais découvrir un nouveau camp, pas n'importe lequel, le camp adverse. Mais seule. Toute seule. Je suis la seule à devoir cacher un secret là où je vais. La seule Gentille au milieu de Méchants.

C'est mon frère qui s'est rapproché de moi. Il passe un pouce sur mes joues pour essuyer les larmes qui ont coulées.

— Pourquoi tu pleures ? Je suis toujours là. Je ne peux pas déjà te manquer quand même.

J'esquisse un sourire sincère. Il sait très bien que je pleure pour Ivy et Ian mais il utilise l'humour pour me consoler. D'un autre côté, tout n'est pas ironique. Je pleure pour Ivy et Ian mais aussi pour lui. Même si je n'ai pas encore dû lui faire mes adieux, ça ne saurait tarder et ce sera tout aussi douloureux.

— Non plus sérieusement, je sais que ça va être dûr pour toi de ne plus nous avoir à tes côtés mais tu en es capable. Tu seras tellement concentrée sur ta mission d'espionnage que tu ne vas même pas te rendre compte qu'on n'est plus là.

J'en doute mais j'apprécie le réconfort.

— Qui aurait cru que je finirais espionne, hein ?

— C'est clair. D'un autre côté, tu t'y étais préparée. Quand j'étais tout bébé, tu regardais ce vieux dessin animé. Ça s'appelait comment déjà ?

— Les Totally Spies.

Je souris en repensant à ce vieux dessin animé. Il était sorti bien avant ma naissance. Je le regardais en DVD, c'était celui de ma grand-mère. Je me rappelle même qu'il avait fallu acheter un lecteur DVD d'occasion. Les lecteurs DVD n'étaient pas monnaie courante quand j'étais petite.

— Ouais, c'est ça ! Les Totally Spies. Je suis un peu déçu, d'ailleurs. De voir que, toi, tu n'espionnes pas en talons hauts.

— Moi aussi mais que veux-tu, ils n'avaient pas le budget pour m'en procurer sur le camp.

Bien sûr, c'est ironique. Les talons hauts n'existent plus. Ils ont disparu dans l'apocalypse comme un tas d'autre chose et vu le monde actuel, personne n'a jugé bon d'en refaire. Pas étonnant.

— Il faut quand même reconnaître une chose, reprend Jase.

— Quoi donc ?

— Mon humour va te manquer.

— Oui ! Tu n'imagines pas à quel point !

J'essaie de me donner un air sarcastique mais il va réellement beaucoup me manquer. Tout ce qui fait que Jase est lui-même va me manquer. Même ses plus gros défauts vont me manquer.
Non, non, je ne dois pas repenser à cela sous peine de me remettre à pleurer.

— Tu vas assurer. Je crois en toi. Et puis c'est quand même sacrément cool d'être la première à découvrir le camp des Méchants. Tu es un peu le Magellan de notre propre décennie.

— C'est vrai ? Tu trouves ? Je pensais pas avoir une grosse barbe noire pourtant...

Jase éclate d'un rire communicatif. On m'a toujours appris que la meilleure arme pour m'en sortir, c'était le rire. Franchement, je suis tout à fait d'accord. J'ai beau avoir vécu l'apocalypse, je crois que si nous n'avions pas fait d'humour de temps en temps, je serai devenue cruelle ou folle. Je ne sais pas vraiment quel est le mieux.
                                      ***
Nous sommes parties aux premières lueurs de l'aube pour ne pas perdre de temps et voilà que le soleil est maintenant haut dans le ciel. Je commence à avoir sacrément mal aux pieds. Sur le camp, je m'entraîne physiquement et je marche d'une tente à l'autre mais je ne parcours pas des kilomètres à pied. Il me faut peu de temps pour que mon corps me le rappelle.