- Si proche de toi -

- 19 -

Le jour n'était pas encore levé qu'Ailean bouclait son bagage à main dans la pénombre du salon. Elle soupira et amena ses deux mains à sa taille lorsque cela fut fait. Elle n'aurait pu cru voir venir ce jour de sitôt. Lorsqu'elle était arrivée en Angleterre, il était dans ses projets qu'elle y reste pour jusqu'à Noël, retourner le fêter en famille puis revenir ici. Maintenant, avec la pandémie toujours présente, elle n'était restée que quelques mois avant de devoir repartir chez elle, au risque de voir les frontières se fermer pour un long moment. Et c'était cela qui l'effrayait le plus : que les frontières ne se rouvrent plus avant très longtemps. Qu'elle le veuille ou non, elle allait être séparé d'êtres chers.

Elle contempla une dernière fois son jardin, son banc blanc et son saule. Bien sûr, elle se remémora sa première vraie conversation avec Tom. Lorsque son regard se posa sur son art inachevé, elle songea à leur échange derrière la grille, à leurs mains qui osaient à peine se toucher. Evidemment, lorsqu'elle repassa devant les escaliers pour prendre son sac, elle se revit monter les marches, Tom la suivant. Leur amour avait atteint cette nuit-là un niveau d'abandon dont la jeune femme n'aurait espéré imaginer. Rien qu'à ce souvenir, son cœur s'emballa alors que son estomac se tordit, autant de sentiments et d'émotions contradictoires qui assénaient son esprit depuis des jours.

Ailean regarda son téléphone. Tom n'allait pas tarder pour l'amener à l'aéroport. Il avait été vain d'essayer de le convaincre de la laisser prendre un taxi. A peine eut-elle fermer sa porte à clé qu'elle entendit un bruit de pas derrière elle. Elle sourit faiblement en apercevant Tom.

- As-tu entendu la nouvelle ?

- Quelle nouvelle ?

- Monsieur Albert est sorti de l'hôpital.

Ailean soupira de soulagement. Savoir le vieil homme chez lui avec sa femme lui fit étrangement plus de bien qu'elle ne l'aurait cru.

- Il était temps qu'il retrouve sa place, approuva-t-elle.

Tom la soutenu d'un geste de tête avant de simplement la regarder. Ailean avança vers lui mais ne dit rien non plus. Ce fut le jeune acteur qui se décida à l'inviter vers sa voiture. Ils n'allaient pas rester planter là, à se regarder, regrettant encore ce départ alors que leur discussion de la veille les avait déjà chamboulés. Il se racla la gorge en fermant la portière d'Ailean et s'installa devant le volant. Il démarra sans plus attendre.

Le trajet fut des plus silencieux. Chacun songeait, se remémorait et s'apitoyait. La jeune femme regarda la ville défilée à travers la vitre, se souvenant de la première fois qu'elle l'avait vu. Elle tourna par moment la tête vers Tom, illuminé par la lumière du soleil commençant à s'élever dans le ciel. Elle ne savait quoi dire. Lui non plus. Il regardait fixement la route, concentré mais à la fois perdu dans ses pensées. Il avait des remords, il s'en voulait de sa lâcheté. Lorsqu'il la regardait parfois, il avait un pincement au cœur aussi douloureux que si on lui avait planté une aiguille lentement dans ce dernier.

Lorsqu'il se parqua, il ne put retenir un profond soupire, comme s'il avait retenu sa respiration durant le trajet. Ailean lui adressa un petit sourire navré et sortie la première de la voiture. Le brun l'aida ensuite avec son bagage et l'accompagna dans le bâtiment. À chaque pas qu'il faisait, l'envie de l'enlever et de l'amener loin avec lui était de plus en plus forte. Devant le tableau qui affichait les départs, celui pour la maudite destination était déjà affichée. Ailean se tourna vers lui, le regard grave. Il était temps. Elle allait lui dire au revoir, et lui, la gorge nouée n'aurait pas le courage.

- Je pense qu'il vaut mieux que j'y aille toute seule.

- Oui, je pense aussi, acquiesça-t-il.

Ailean se pinça les lèvres avant de s'approcher de lui. Elle était triste, mais de quoi ? De son départ ou de leur conversation d'hier soir ? Tom se le reprochait depuis. La brune l'embrassa la joue, il du se faire violence pour ne pas la prendre contre lui.

- Au revoir, Tom.

Le brun ne pu dire un mot. Il acquiesça simplement et stupidement de la tête. Ailean en fut quelque peu déçue mais elle comprenait. Elle prit alors son sac et avança vers les douanes. Tom la regarda s'éloigner un peu plus, trépignant. Elle avançait lentement. Sans s'en rendre compte, son pas diminuait au fur et à mesure que son esprit cogitait. Le brun, lui, s'en rendit compte. Et si elle ne pensait pas ce qu'elle avait dit la veille. Lui ne le pensait pas. Devrait-il lui dire ? Avant qu'il ne soit trop tard. Il ne vit pas ses yeux s'embrumer alors qu'elle s'arrêta en plein milieu du hall. Tom fut convaincu à ce moment-là. Il n'attendit pas qu'elle se retourne pour courir vers elle. Il ne lui laissa pas le temps de parler.

- Ailean...oublie tout ce que j'ai dit hier, c'était ridicule.

Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il croisa les siens pleins d'espoirs.

- Je pensais nous faciliter la tâche mais je n'en pensais pas un mot.

- Moi non plus...

Tom se sentit revivre face à ces mots. Il lui prit les mains et la regarda dans les yeux.

- Peu importe si ces frontières restent fermées durant un mois, des mois ou même des années, mon cœur t'appartient. J'aurai du te le dire, cette nuit-là.

Une larme s'échappa du coin de l'œil de la jeune femme alors que ses lèvres s'étirèrent en un large sourire. Elle hésita ne serait-ce qu'une demi seconde avant de sauter à son cou pour l'étreindre et lui murmurer dans l'oreille la même délicieuse révélation. Tom la serra fort contre lui, si fort qu'il crut l'étouffer presque. Ailean se sépara légèrement de lui pour capturer ses lèvres. Tom se sentit partir ailleurs l'espace de quelques secondes tant leur baiser était intense.

- Demande-moi de rester, et je reste, lui murmura Ailean.

Tom la regarda d'un air navré. C'était ce qu'il souhaitait le plus au monde. Mais il n'avait pas le droit de lui demander ça, encore moins de la séparer de sa famille. Il lui sourit tendrement, la regarda de son éternel regard amoureux et lui caressa la joue. Ailean comprit et acquiesça. Elle posa un dernier chaste baiser sur ses lèvres, resta quelques secondes, front contre front avant de reculer d'un pas.

- Il faut que j'y aille.

Le jeune anglais le savait. Il lui tendit son sac.

- Veille bien sur Harrison, je crains qu'il ne survive sans mon poulet, ajouta-t-elle.

Tom rit doucement et lui adressa ce souvenir qu'elle espérait voir une dernière fois avant de partir. Ailean recula à nouveau d'un pas et après un dernier regard, reprit son chemin. Elle ne s'arrêta pas cette fois. Elle ne se retourna pas. Tom la regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'elle disparaisse de sa vue. Alors, le cœur lourd mais rempli de promesses d'avenir, il fit à son tour demi-tour.

Fin