Chapitre 3: 2019 (Partie 1)

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Neuf ans plus tard.

09 septembre 2019

« Simon, 20 ans. Un grand brun frisé aux yeux pairs, ça te tente? Je ressemble pas à The Rock, mais je pourrais soulever des montagnes pour la bonne fille. Écris-moi !»

Ça pourrait être sa description Tinder, mais c'est plutôt sa biographie Instagram. Simon souhaite rencontrer des belles femmes via des mentions "J'aime" et des mot-clics. Il ouvre tous les profils des filles qu'il trouve attirantes et il fait défiler leurs photos comme un vampire assoiffé de sang. Laquelle va-t-il choisir? La jolie brune ou la grande blonde? Dilemme sans fin. Lorsqu'il n'arrive pas à faire son choix, il se défoule en se branlant et en crachant son venin sur son écran de cellulaire.

Couché dans son lit, dans la noirceur de début de soirée, il fait glisser son doigt sur l'écran de son téléphone. Le monde virtuel dans lequel il vit lui offre tellement de possibilité de rêver. Des paysages paradisiaques, des voitures de luxes et des filles à n'en plus finir. Elles ne sont pas réelles, il le sait. Mais il continue d'y croire, persuadé qu'un jour, il en rencontrera une. Ses grands yeux pairs allumés par la vie virtuelle ne décrochent pas de l'écran, malgré les appels incessants de sa mère adoptive qui lui dit que le souper est servi. Il n'entend rien, tellement absorbé par son monde secret... pas si secret.

Un peu exaspérée par le manque de réponse de son fils, Judith monte au deuxième étage pour tenter une ultime approche. Enjambant à coup de deux les douze marches qui mènent à la tanière de Simon, elle continue de lui rappeler que le souper est prêt. Arrivée devant sa porte qui est évidemment fermée, elle frappe à grands coups de poing.

- HEY L'ERMITE! LE SOUPER EST PRÊT!

- Meh! Ok.

Réponse typique d'un jeune que le monde de la technologie a aspiré le cerveau. Il lève son long corps de son lit et regarde autour de lui, le regard vide. Vide de toute vie. Aucune lumière dans les yeux. Sa réalité est beaucoup moins attrayante que le monde qu'il s'est créé avec son téléphone. Ses deux baguettes qui lui servent de jambes commencent à bouger pour se rendre aux escaliers qui mènent à la cuisine. C'est le seul moment où il est en contact avec sa mère.

Sa mère adoptive, Judith, est un vrai cliché. Une femme de 50 ans, cheveux bruns, longs et frisés. Un visage maigre qui a mal vieilli et un regard rempli d'un mélange de tristesse et d'amertume. Elle a d'élever Simon seule. Étant célibataire depuis très longtemps, elle rêvait d'avoir un enfant. Judith a choisi d'adopter le jeune homme pour lui offrir un foyer stable et de l'amour à l'infini.

Attablés en silence, ils mangent sans se regarder. Simon a toujours eu beaucoup de difficulté à parler avec Judith. Il sent toute la pitié qu'elle a pour lui et ça le rend malade. Les yeux rivés sur son assiette, il se hâte de terminer son repas. Tout ce qu'il veut, c'est retourner dans sa chambre et être sur son téléphone. La vie y est plus agréable. Il n'a pas besoin de parler ni d'écouter qui que ce soit. Il veut être seul. Il veut rêver seul. Dans une vaine tentative, Judith essaie d'ouvrir une conversation, mais ça ne marche pas. Il ne fait que grogner des mots incompréhensibles. Elle baisse les yeux et retourne à son plat, sans appétit. Elle aimerait que Simon puisse s'exprimer et sourire, comme tous les jeunes. Il a tellement été malmené par sa mère biologique et elle trouve ça atroce. Elle aimerait le faire payer à Madeleine, même si elle est incapable de toute méchanceté.

Ils débarrassent la table dans le même silence qu'ils ont mangé et Simon remonte à sa chambre, sans un son. Il a été habitué comme ça : ne me parle pas, ne me regarde pas, fini ton assiette et disparaît. Madeleine ne désirait pas avoir Simon et elle lui a fait comprendre de toutes les façons possibles. Rendu à 20 ans, avec une mère adoptive aimante, c'est toujours pareil. Il s'en veut d'être ainsi et il fait des efforts, mais c'est à peine perceptible.

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