Respire. Respire. Respire.
Aucun battement, aucun souffle, aucun mouvement, seulement le néant.
Au loin j'entends une voix me demander de la lâcher, me dire qu'il est trop tard, que l'on ne peut plus rien faire. Tout cela je le sais pourtant je ne peux me résoudre à l'abandonner. Une main se pose sur mon épaule :
- Chérie... Elle est partie... Tu dois laisser l'urgentiste l'emmener. On ne peut plus rien faire.
J'entends la voix de mon mari, cependant je n'arrive pas à m'y accrocher. Mon esprit s'est égaré et je ne parviens plus à reprendre conscience de la réalité. J'arrive à peine à respirer. Le souffle court, les larmes roulant sur mes joues, je me relève, regarde mon mari et frappe son torse de mes poings :
- Tu mens ! Elle est toujours en vie je le sais ! Elle ne peut... elle ne peut pas être...
Les mots se meurent au bord de mes lèvres. Je ne peux pas le dire à voix haute. Les mots tant qu'ils ne sont pas dits n'ont pas de réalité propre. Tant que je ne les dirais pas ils n'existeront pas.
- Chérie, elle est partie.
Il me regarde avec douceur, cherche à attraper mes mains pour me prendre dans ses bras et me réconforter mais je me dérobe à son étreinte et me laisse tomber à genou à côté du corps inerte de ma fille.
Ses yeux que la vie a quittés sont jaunis, ses pupilles dilatées, ses lèvres gercées. Elle a de multiples abcès sur les joues et le cou, des ulcères se sont formés sur ses bras là où elle s'était injecté la substance mortelle.
Elle ne ressemblait plus à ma petite fille chérie qui autrefois faisait des couronnes de marguerites et courait gaiement dans notre jardin. Je ne la reconnaissais plus. Ce n'était pas ma fille mais une inconnue qui gisait devant moi. Aurais-je pu éviter ça ? Ai-je été une si mauvaise mère ? Mon mari et moi l'avions envoyé en centre de désintoxication il y a de cela deux ans. Elle était rentrée à la maison tremblante, pâle, les yeux livides. Elle s'était dirigée dans sa chambre sans même nous saluer.
En allant la voir, j'avais remarqué des traces sur ses bras et en avais conclue qu'elle était sous l'emprise d'une drogue.
Le lendemain, nous l'avions emmené chez notre médecin de famille qui nous avait annoncé que notre fille était dépendante à la cocaïne et que la seule solution était de la sevrer dans un centre spécifique. Le cœur lourd nous l'avions donc déposé le jour suivant au centre le plus proche. Trois mois plus tard elle était rentrée à la maison radieuse et libérée de son addiction. Durant les deux années qui suivirent, elle ne retoucha jamais à la drogue mais il y a un mois, elle a rencontré un jeune homme dont elle est tombée amoureuse.
Nous l'avons rencontré de nombreuses fois sans jamais nous douter du lourd secret qu'il cachait. Il vendait de la cocaïne dans le quartier depuis des années et fournissait notre fille. Le visage de Lila se mit à changer progressivement. Elle avait des sautes d'humeurs effroyables, passant de la joie à la colère, du rire aux larmes sans aucune raisons apparentes.
Elle paraissait de plus en plus fatiguée, de plus en plus apathique. Nous étions inquiets mais à dix-huit ans, les adolescents sont si difficiles à comprendre. Puis elle se mit à tousser, elle perdit du poids, ses notes baissèrent graduellement, elle semblait de moins en moins connectée à la réalité. J'ai essayé de lui parler, essayé de comprendre ce qui lui arrivait mais elle se renfermait dès que je m'approchais d'elle. Elle refusait de me parler, me hurler dessus, me claquait la porte au nez. Je m'étais résignée, espérant que cette crise que je pensais anodine passerait avec le temps. J'avais été si naïve. Si je m'étais rendus compte de ce qui lui arrivait j'aurais surement évité le pire.
Pourtant, le pire était arrivé.
Il y a quelques heures seulement ma vie avait basculé. J'étais allée chercher Lila pour passer à table voyant qu'elle ne venait pas. J'avais toquée à sa porte : pas de réponse. J'étais entrée et l'avais découverte inerte sur le sol, une aiguille encore plantée dans le bras. Terrorisée, j'avais hurlé, mon mari était arrivé et avec un incroyable sang-froid avait appelé les urgences qui étaient arrivaient quelques minutes plus tard. Les urgentistes avaient tenté de la réanimé en vain. Puis arrivées à l'hôpital, un résident avait pris la relève mais sans plus de succès. J'étais restée en arrière, tétanisée. Mon mari me tenait la main, me disait que tout allait bien se passer, que notre fille était une battante mais le verdict était tombé. Il n'y avait plus rien à faire, elle était partie.
À l'annonce de sa mort, je m'étais jetée sur son corps livide, je l'avais serrée dans mes bras lui demandant de revenir, de ne pas m'abandonner. Quand l'électrocardiogramme avait affiché une ligne droite sur le moniteur, mon cœur a cessé de battre.
Je suis morte avec elle.
Mon corps est toujours là mais ma raison s'est envolée.
Comment voulez-vous vivre quand votre raison d'être s'est éteinte sous vos yeux ? Une mère n'est pas censée voir son enfant mourir. Ce n'est pas normal !
La cocaïne a détruit ma vie. Beaucoup se disent qu'un gramme ce n'est rien, que l'on ne devient pas accro avec un seul gramme. Pourtant il aura suffi d'un gramme de trop pour le cœur de Lila cesse de battre : le dernier gramme.
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La vie est un rêve
De TodoCe recueil de nouvelles, vous fera ressentir une multitude d'émotions. Je mets ma plume à votre service et espère que mes histoires courtes vous plairont.