Les hommes

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Sibérie, Russie, 1932

Je m'appelle Lévy et j'ai un an aujourd'hui. Je suis né un matin d'été dans la taïga sibérienne. Mes yeux curieux se sont ouverts sur d'immenses falaises de craies banches immaculées de neige. Entourée d'une majestueuse forêt boréale, ma maison se trouve au pied d'un grand bouleau. Je n'aurais pas pu rêver plus bel endroit où vivre. Le mot GRAND prend tout son sens dans ce lieu. J'adore tout particulièrement le sol de chez nous que l'on appelle le podzol, la fine couche d'aiguille de pins qui recouvre cette terre blanche cendreuse rend la terre aussi moelleuse qu'un coussin en soie, la fouler est un vrai bonheur.

Une douce odeur de sapins et de pins flotte dans l'air et ravie mes narines. Seul le bruissement des ailes des oiseaux et leur mélodie résonne en ces lieux. Un calme apaisant y règne. Rien ne semble pouvoir briser cet équilibre que moi et ma famille avons construit avec la nature.

Avec mes frères Tiny et Kesse, nous passons nos journées à nous rouler par terre en rigolant gaiement. Quand notre maman nous laisse seuls, nous partons explorer ce territoire qui nous est encore inconnu. Elle n'est pas au courant de nos petites escapades et serait folle de rage si elle l'apprenait. Elle nous met souvent en garde contre les horribles hommes qui pourraient nous kidnapper et vendre sur ce qu'elle appelle le marché des horreurs. Kesse pense que maman invente ses histoires car personne ne peut être assez vicieux et perverti pour séparer des enfants de leur mère. Pour ma part, je suis sûr que maman ne nous ment pas, même si à mon avis, elle exagère pour nous faire peur.

Elle nous raconte de drôles d'histoires le soir pour nous endormir. Elle nous parle d'enfants comme nous qui sont tués chaque jour par des monstres sans cœur. Ils égorgent les mères et emportent leurs petits pour les vendre au marché noir. Malira, la sœur de maman a été tuée peu avant notre naissance. Maman nous en parle avec nostalgie, elle aurait vraiment aimé pouvoir l'aider mais elle était enceinte de nous et ne pouvait prendre aucun risque.

Maman vient de partir, Kesse vient me chercher, nous allons partir explorer les environs. Nous prenons bien soin de ne pas laisser de traces derrière nous pour éviter que quelqu'un de mal intentionné ne découvre notre maison. Aujourd'hui nous allons voir les tourbières, ces grands espaces marécageux. L'odeur qui s'en dégage est nauséabonde et m'hérisse les poils, mais ces marais sont si mystérieux que je ne peux résister à l'idée de m'y aventurer. Mon autre frère, Tiny, est moins enthousiaste et refuse de nous accompagner.

C'est l'imagination débordante que nous partons à la découverte de ce lieu inconnu. Nous y arrivons rapidement, il faut dire que nous explorons cet immense territoire petit à petit car bien que nous soyons très curieux, nous restons prudents. Les tourbières sont comme je les avais imaginées, morbides. L'eau qui croupit dégage une odeur pestilentielle, d'hautes herbes brunes en émergent. Les arbres noircis, défeuillés tendent leurs branches mourantes vers nous. La vie semble avoir quitter ce lieu, aucun être vivant ne semble vivre ici.

J'ai peur.

Je regarde mon frère, qui observe avec de grands yeux émerveillés le paysage alentour. Je le bouscule, essayant de lui faire comprendre que je veux partir, mais il continue sa contemplation. Mes membres se mettent peu à peu à trembler et une terreur sourde s'empare de moi. Et si maman avait raison. Un homme pouvait surgir de nulle part et nous emmener moi et Kesse. Que pourrions-nous faire ? Nous ne sommes que des enfants.

C'était une mauvaise idée de venir jusqu'ici, nous aurions dû attendre que maman nous y emmène. Elle avait promis de nous faire découvrir toute la région dès que nous en aurions l'âge. Je me rends compte de notre imprudence alors que mon frère semble hypnotisé par ce lieu que je trouve si lugubre. Je le pousse plus fort que voulu et il tombe face contre terre. Il se redresse, agacé, mais voyant mon air inquiet, il se rend compte qu'il a peut-être été trop loin et nous rentrons dans un silence pesant.

La vie est un rêveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant