Mavi - Boryana (Épisode 3)
Presque rien n'avait changé en trois ans. Mavi avait souri parce que les photos d'elle petite étaient toujours sur le meuble de l'entrée. Juste à côté du portrait de son père. La cuisine située au fond avait été repeinte en blanc.
- C'est deux petits jeunes du quartier qui me l'ont fait! avait dit Béatrice, d'un air enjoué. Ils ont fait ça propre, hein! Je leur ai filé dix balles chacun, c'était bien mérité!
Mavi avait acquiesçé. Sa maman avait dirigé la conversation vers un sujet banal car elle ne savait que dire. Elle n'avait pas non plus osé l'embrasser. L'étreindre. Prendre sa petite contre son coeur. Elle s'était finalement installée silencieusement à la table et avait posé une assiette avec une part du fameux flan sous son nez. Elle avait parlé du quartier, des jeunes qui foutaient un peu le bordel. Bah, ils sont perdus ces gamins, que veux-tu... avait-t-elle ajouté. Puis elle avait fini par demander en passant sa main sur la nappe en toile pour y retirer les miettes :
- Et Malik, il va bien, lui?
- Oui, maman, il va très bien. Merci... Tu sais, tu pourrais venir dîner à la maison, un soir, si tu en as envie.
- Oh ben, oui, mais je veux pas déranger...
- Tu ne déranges pas maman. Ca me ferait plaisir. Et à Malik aussi...
- Oui, ben oui, si vous voulez.Elle avait la voix qui flanchait. Elle voyait bien, Mavi, qu'elle avait la gorge pleine de larmes qui se mêlaient aux non-dits. Et elle avait ajouté, comme elle l'avait fait pour Malik - c'était maladroit probablement mais comment dire ces choses là... Il n'y avait aucun manuel pour annoncer le pire. Encore moins à une mère - Alors, elle avait juste dit :
- Maman, tu sais, je suis malade...
Béatrice avait levé ses grands yeux verts. Ceux qu'elle avait génétiquement transmis à Mavi. Et comme Malik, elle avait répondu :
- Comment ça, malade? Qu'est-ce que tu racontes, Mavi?
- Je suis malade, maman. Gravement. Je vais mourir.Chaque fois qu'elle prononçait ces mots, son corps tout entier se figeait. Et pourtant dans les semaines à venir, il lui faudrait les redire encore et encore. Expliquer. La maladie, les mots du médecin. Le temps qui s'écoulait. Le compte à rebours qui était lancé. Sa mère ne réagissait pas. Ses grands yeux verts restaient fixés sur Mavi. Ils ne clignaient plus. Elle écoutait Mavi lui dire le pourquoi du comment. Pourquoi dans quatre mois, six tout au plus, il lui faudrait enterrer son enfant. Elle ne pleurait pas parce que elle ne réalisait pas vraiment. Elle avait vécu ces trois dernières années avec l'absence de Mavi. Et elle n'avait pas su vraiment comment s'y prendre pour lui dire qu'elle était désolée. C'est comme ça. Parfois, les mots ne viennent pas et le temps passe et finit par les enfouir tout au fond de notre coeur. Ils étaient remontés à cet instant. Devant cette part de flan qui avait le goût de l'enfance. Le goût de son enfant. Vivante et en bonne santé. Elle avait dit :
- Mavi... Je suis désolée...
Et Mavi avait dit :
- Je sais, maman. Que veux-tu, c'est la vie ! Enfin, je crois...
- Tu sais, lorsque j'ai rencontré ton père, j'avais tout juste dix-huit ans...Mavi avait cessé de découper sa part de gâteau en petits morceaux. Elle avait levé la tête, avait regardé sa mère, retenu son souffle. Les souvenirs remontaient. Enfin. Vingt huit ans d'un silence assourdissant. Vingt huit ans d'une chape de plomb sur le passé. Et là, alors que la mort approchait, il n'y avait plus rien à cacher. Béatrice s'était levée et elle s'était approchée de la fenêtre. Et elle avait continué en fixant l'horizon. Au-delà de la cité. Là où le monde semblait moins bruyant et plus raisonné.
- Ton père était beau comme c'est pas permis. Et il était drôle mais drôle! Il venait de Turquie. De Bodrum. Et moi j'étais venue en vacances, y passer trois semaines. Avec papa et maman, nous vivions à Sofia, en Bulgarie. Papa était médecin. Et maman, infirmière. Ma soeur Velmira et moi... Moi, Boryana.
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Mavi
SpiritualMavi va mourir. Et parfois, il y a des histoires qui ont déjà une fin et qui méritent tout de même que l'on s'y attarde.