Jessie

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Mavi remonta un long couloir. Elle sortait d’un rendez-vous avec son médecin pour un bilan. Jessie était là, mais son sourire et sa légèreté habituels semblaient l’avoir quittés et elle avait l’air d’une ombre errante plus pâle encore que les murs de l’hôpital.

- Salut Jessie…
- Eh Mavi!

Spontanément, elle la prit dans ses bras. Jessie se foutait pas mal des conventions, du protocole, de la distance à garder. La première fois qu’elle avait croisé Mavi, c’était dans le hall d’entrée. Elle venait pour consulter un médecin suite à quelques symptômes qui s’accumulaient. Elle avait fait un malaise et Jessie l’avait prise en charge. Elle était revenue la voir pour prendre des nouvelles. Lorsque la sentence était tombée, Jessie en fut la première informée. Elle s’était étonnée de la voir seule à chaque rendez-vous mais Mavi avait dit que c’était assez compliqué comme ça et qu’elle ne voulait pas laisser des souvenirs encore plus douloureux aux gens qui l’aimaient. Qu’elle partirait chez elle quoiqu’il arrive. Et qu’elle ne traînerait personne dans les bureaux des médecins. Alors, Jessie, innocemment, lui proposait toujours de prendre un café, un goûter, de déjeuner avant de rentrer. Leur rituel était le même aujourd’hui. Jessie l’invita à aller déjeuner dans le parc de l’hôpital. Elles s’installèrent sur un banc. Jessie avait la gorge un peu serré et des maux sur le coeur dont elle n’arrivait pas à se délester. Mavi le sentait bien alors elle lui demanda avec douceur :

- Tu veux m’en parler ou tu préfères qu’on ingurgite ce sandwich bourré de mayo pour faire grimper notre taux de cholestérol?

Jessie sourit tristement.

- Mon papa est mort, Mavi…

A ces mots, la gorge de Mavi se serra. Elle n’arriva pas à répondre alors elle prit la main de Jessie dans la sienne. Jessie poursuivit :

- J’ai toujours travaillé dans le milieu hospitalier, Mavi, tu sais… C’était ce que les gens appellent une vocation. Et j’en ai vu des gens mourir. La première fois, ça m’a sacrément remuée… Puis ensuite, c’est devenu, je sais pas… Presque logique. C’était comme ça. Les gens vivent et meurent. C’est une réalité, une fatalité. Mais quand c’est les gens qu’on aime… On a l’impression que ce n’est plus qu’une injustice…
- Ca reste la vie, Jessie…
- Je veux pas que tu partes, Mavi… Pourquoi tu refuses de te battre? Le médecin te l’a dit, on peut tenter des choses?
- Pour gagner du temps. Et dans des conditions douloureuses.

Jessie se tut et baissa le regard, elle avait déjà eu cette conversation avec son père et elle avait l’impression d’être une enfant égoïste qui refuse de prendre en considération les limites des gens.

- C’est drôle que tu me dises ça… Mon père a eu les mêmes mots. Il a dit aux médecins qu’il ne fallait pas courir après la vie. Qu’il fallait mieux la vivre au lieu de s’épuiser à toujours vouloir la rattraper.
- Et il avait raison, Jessie. Tu sais, ton père et moi, nous savons. Et c’est une chance. Tu sais pourquoi? Parce que nous pouvons partir sans laisser de remords ou de regrets dans le wagon. La plupart des gens ne vivent pas LEUR vie. Ils vivent une vie par la force des choses. Par procuration. Par obligation. Ils remettent tout au lendemain. Ils cachent des secrets dont ils n’auront peut-être jamais la possibilité de se délester. Ils taisent des mots qu’ils n’auront peut-être jamais le courage de prononcer. Ils remettent des voyages à plus tard, des excuses à un autre jour, des retrouvailles au lendemain et parfois ce lendemain n’arrive jamais. Vis, Jessie… Vis, comme si tu savais…
- J’ai envie de tout quitter, Mavi. De partir à l’autre bout du monde. Je sais pas… J’ai l’impression que quelque chose d’autre m’attend ailleurs.
- Alors, pars, Jessie… Tu peux simplement me promettre une chose?
- Dis-moi..?
- Je voudrais faire une petite fête d’adieu. Disons plutôt une petite fête pour célébrer la vie, voilà, ce sera mieux comme ça. Tu seras là?
- Je serais là… Où que je sois, je reviendrais pour toi.

MaviOù les histoires vivent. Découvrez maintenant