Mavi est morte un soir de juillet. Au cœur d'un été caniculaire, Mavi s'est éteinte dans le petit appartement de son quartier. Au-dessus du restaurant où son amoureux et elle s’étaient rencontrés. À l'échelle planétaire, Mavi s'est éteinte comme retombe un grain de poussière dans un halo de lumière au milieu d'une vieille maison abandonnée. Elle est morte dans leur chambre, sur le lit où ils avaient fait l'amour, où ils s'étaient disputés, où ils s'étaient dit que ce serait sympa un jour de faire un bébé, qu'ils pourraient se marier aussi mais comme ils avaient pas un radis ils s'étaient aussi dit que le mariage, c'est surfait et qu'ils n'avaient pas besoin de ça pour se promettre de tout surmonter. Mavi avait fait un pêle-mêle de photos sur le mur au dessus de son lit. Elle y avait ajouté une photo de sa mère le mois dernier. Elle s'était d'abord dit que c'était un peu ridicule car elle allait bientôt mourir et c'est Malik qui devrait ranger tout ce merdier. Elle avait même fini par lui dire et il avait répondu qu'elle pouvait coller des photos jusqu'au plafond, il rangerait tout.
Après.
Après,c'était ce jour qu'il avait tant redouté. Après, c’était ce soir. Il avait voulu la réveiller parce qu'il était presque vingt deux heures, qu'il faisait un peu moins lourd et qu'il s'était dit qu'ils auraient pu aller prendre l'air un peu. Mavi dormait. Et Malik savait. Il était resté assis dans la pénombre du salon. Et il savait que s'il allait chercher Mavi, il n'y aurait jamais de promenade. Il avait fini par y aller. Et comme elle le lui avait dit, trois mois et vingt-quatre jours plutôt, Mavi était morte. Il avait pensé, il a menti ce salaud de médecin, il a menti. Puis, il avait juste posé sa tête dans le cou presque froid de Mavi et il avait pleuré. Il avait pensé à des choses stupides. À ces contes de fées que Mavi adorait, à ces histoires de magie, de baiser ensorcelé qui réveillait la princesse. Alors, il l'avait embrassé. Trois fois. Mais Mavi n'avait pas sourcillé. Il avait donc fait ce qu’il faut faire lorsque quelqu'un meurt. Il avait appelé le Samu. Puis s'en était suivi les appels à la famille, aux amis. La paperasse, les formalités, l'enterrement. Peu importe qui l'on est, une vie qui s'éteint, ce sont forcément des gens qui viendront nous pleurer... Il y en avait eu des larmes versées pour Mavi. Ils l’avaient enterré. Puis la vie avait repris sans Mavi parce que même quand la mort passe, aussi injuste semble-t-elle à tout nous arracher, le monde ne s'arrête pas de tourner. Hassan était parti s’installer définitivement à Istanbul. Il y avait emmené sa mère et il lui avait expliqué à anne que l’amour, c’était de multiples possibilités et qu’il ne fallait pas gâcher le temps que l’on a à partager avec les gens que l’on aime. Alors anne se promenait le soir sur les rives du Bosphore avec Derya et Hafida. Et Hassan avait fini par rencontrer une chouette fille à Istanbul. Elle avait les yeux verts comme ceux de Mavi… Il ne lui dirait jamais bien sûr parce que on ne dit pas ces choses là, c’est trop délicat, mais ça lui donnait l’impression d’avoir un tout petit bout de Mavi pour toujours avec lui. Kamélia était repartie en Californie. Cécile n’était pas venue à l’enterrement. Les vacances à Royan étaient déjà prévues et ça aurait été compliqué de décaler… Jessie… Jessie, elle, elle vivait sa vie. Et Béatrice était repartie dans son petit appartement au sixième qu’elle n’avait jamais quitté. Elle avait demandé qu’au quartier désormais on l’appelle Boryana et elle s’était investie dans une association pour partager les différentes cultures et créer des évènements dans la cité.
À la fin de l'été, Malik avait décidé de louer l’appartement. Il allait vivre quelques temps chez sa sœur et après il verrait. Si la douleur persisterait à le grignoter ou s'il reviendrait à la vie ou peut-être même, un jour, à l'amour. L'appartement avait été vidé. Tout le monde était parti. Malik avait dit à sa sœur et à son beau-frère, allez, partez devant. Je vais arriver. Il s'était assis dans leur ancienne chambre. Sur le sol. Là où il y avait le lit avant. Là où ils avaient fait l'amour et où ils n'avaient pas eu le temps de faire ce bébé. Le pêle-mêle était toujours là. Mais voilà, il fallait le retirer. Malik avait pris une grande enveloppe marron et il avait commencé à retirer les photos, une à une. Il avait glissé les sourires de Mavi et presque trente années de vie dans une putain d'enveloppe. Il y en avait des dizaines. Et puis au fur et à mesure qu’il retirait ces images du passé, des lettres écrites sur le mur au feutre noir se dévoilaient. Il avait ri en se disant « elle est chiée quand même, je vais devoir faire la peinture avant de relouer… ». L’écriture de Mavi. Folle, agitée, passionnée comme elle.
« Mon amour, le train s’est arrêté et il m’a fallu descendre sur le quai. Si tu regardes par la fenêtre, tu pourras m’apercevoir, m’envoyer un baiser et puis après… Après, vis. Et poursuis le voyage. Quand on se retrouvera, je veux que tu me racontes toutes les choses merveilleuses que tu as découvert dans les autres gares… »
Malik termina de mettre les photos dans la grande enveloppe kraftée. Il la referma. Sortit de la chambre en se disant que finalement il y a des messages qu’il fallait peut-être laisser. Pour Mavi. Pour celles ou ceux qui oublieraient peut-être que tout ça n’est qu’un voyage et qu’à n’importe quel instant le train peut s’arrêter… Il referma la porte sur une partie de sa vie. Monta dans sa voiture. Posa ses deux mains sur le volant. La gorge nouée. Il s’apprêtait à rejoindre sa soeur. Son regard se porta sur son avant-bras. Tatoué de ces quelques mots que Mavi lui avait rappelé quelques semaines plutôt « Dépêche toi de vivre ou dépêche toi de mourir ».
Finalement, il remonta sa rue, tourna à droite et se dit que ce serait sympa de retourner voir la mer…
A toutes les Mavi…
Et à toutes celles et ceux qui continuent de voyager.
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Mavi
SpiritualMavi va mourir. Et parfois, il y a des histoires qui ont déjà une fin et qui méritent tout de même que l'on s'y attarde.