Chapitre 8 : Une vieille connaissance

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            Un silence lourd et pesant s'installe, alors que Deckard et moi pointons nos armes l'un sur l'autre. Je l'ai là, en joug, juste devant moi. Je devrais tirer, l'éliminer, et régler toute cette histoire sans sourciller, comme je le fais si souvent. Mais quelque chose me bloque, m'empêche d'agir. Le bras tendu et rigide, les sourcils froncés, je tente de ne pas lui laisser paraître le trouble qui me traverse alors que nous échangeons un long regard, profond et silencieux.

« Loïs ? Demande-t-il. »

Je resserre ma prise sur mon arme, comme une encre sur laquelle je peux m'accrocher pour ne pas couler. Je tente de ne pas trembler, même si mon corps en a une sacrée envie. Deckard baisse doucement son arme, et son visage précédemment tordu par la colère fond dans la mélancolie, l'étonnement et l'assurance. Son regard brille un instant, mais il contrôle sans aucun doute mieux ses émotions que moi. Il tend son bras contre sa hanche, inspire et tente de trouver des mots qui ne semblent pas lui venir, jusqu'à ce qu'il parvienne à en articuler quelques uns.

« C'est toi, Loïs ? »

Je ne lui réponds pas. Est-ce que c'est moi ? Oui, je sais que c'est moi, je ne suis pas idiote tout de même. Mais est-ce que je suis la Loïs qu'il a connue quelques années plus tôt ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n'ai jamais été aussi incertaine de toute mon existence.

« Bordel, Loïs... Je t'ai cherchée partout, pendant des années... Je savais qu'ils n'avaient pas dit la vérité, que tu n'étais pas morte. »

Il tente un pas vers moi, mais il se désiste lorsque je charge mon arme. Il range la sienne à sa ceinture en fronçant les sourcils.

« Eh... tu ne me reconnais pas ? »

Je tente de retenir mes larmes, et finis par secouer négativement la tête. Il garde ses distances et se passe une main sur le visage avant de regarder ailleurs, puis il me détaille de haut en bas.

« Est-ce que tu te moques de moi ?

- Est-ce que tu crois vraiment que ça m'amuserait de mentir sur ce genre de chose ?! »

D'accord, je me suis peut-être un peu trop énervée. Je me pince les lèvres, retenant de plus belle mes larmes qui tentent de s'échapper en un flot.

« Je ne me souviens pas de toi, lâchais-je calmement.

- Alors, pourquoi est-ce que tu ne me tires pas dessus ? Comme tu l'as fait l'autre jour ? »

C'est vrai ça, pourquoi je ne lui tire pas dessus ? Je n'arrive même pas à plier le doigt sur la détente. Deckard semble perdre patience et fait un nouveau pas vers moi, mais je recule.

« Ne t'approche pas de moi.

- Loïs... s'il te plaît. Dis-moi ce qui ne va pas. Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

- Je... je ne me souviens pas. Je ne me souviens de rien, rien du tout.

- Rien du tout ?

- Les vingt-deux premières années de ma vie sont parties en fumées, et quatre d'entre elles ont été si terribles que je n'arrive pas à m'en souvenir.

- Laisse-moi t'aider. »

M'aider ? Est-ce que j'ai envie que quelqu'un me vienne en aide ? Oui. Actuellement, j'aimerais vraiment qu'on me vienne en aide, qu'on m'aide à comprendre. Mais... est-ce que j'ai envie que ce soit lui ? Aucune idée.

« Loïs, je fais partie de ton passé. Je peux t'aider.

- Tu fais justement partie de mon passé, et non pas de mon avenir, lâchais-je. Tu as tué Han, et c'était un membre de ma famille. Je ne te le pardonnerais pas.

- Lo...

- Je t'ai dit de ne pas m'approcher ! »

Il fait tout de même un pas vers moi. Je plis le doigt sur la détente, ce qui l'immobilise immédiatement. Bordel. Je l'ai loupé. Je l'ai loupé, mais j'aurais pu lui exploser la tête si j'avais mieux visé. Il ricane nerveusement.

« Il y eut un temps où tu ne ratais aucun de tes tirs, ni aucun de tes coups. Tu étais une gamine, tu venais d'entrer dans la Navy mais tu excellais déjà dans tellement de domaines qu'ils t'ont rapidement montée en grade. Commandant Loïs De La Cruz. Tu étais la meilleure tireuse d'élite au service du MI6, mais tu étais aussi une espionne...

- Ferme-la ! »

Il se tait subitement.

« Loïs De La Cruz est morte. Je ne me souviens pas d'elle, je ne me souviens pas de toi, et c'est sans aucun doute mieux comme ça.

- Tu ne dirais pas ça si tu savais ce que tu perdais.

- Mets-toi à genoux, ordonnais-je. »

Il lève les mains un peu plus haut, et se met à genoux. Je m'approche de lui pour le maîtriser, mais il me devance en m'attrapant par les jambes et en me mettant au sol. Je lui donne de grands coups de pieds dans la poitrine pour le repousser, mais il semble connaître toutes mes combines. Il évite mes attaques, me désarme, et alors que je tente de le plaquer contre la voiture, c'est moi qui y finit plaquée. Je prends appuie sur la carrosserie pour le repousser, lui fais un croche-pied et le mets au sol. Je récupère ma deuxième arme et la lui pointe sur le front, assise à califourchon sur lui.

« ça suffit, ne bouge plus.

- Tu ne tireras pas.

- Qu'est-ce qui te fait croire ça ? »

Il tend sa main et me montre le chargeur de mon arme. Je fronce les sourcils et récupère un couteau de combat. Il me devance cependant en me plaquant face contre terre, bras tordus dans le dos.

« Ouais, Loïs De La Cruz est peut-être morte ce jour-là, après être tombée du cinquième étage de ce putain de building à Paris. Ou peut-être qu'elle croit qu'elle est morte, et qu'elle a seulement besoin qu'on la réveille.

- Lâche-moi !

- Je t'ai cherchée pendant des années, et maintenant que je t'ai retrouvée, je ne vais pas te laisser partir comme ça ! Bordel, Loïs... ! »

Il desserre sa prise et me lâche complètement. Il s'assied sur le sol et passe une main sur son visage, la mâchoire serrée, et me lance un regard des plus peinés.

« S'il te plaît. »

S'il te plaît, quoi ? Assise moi aussi, j'ai une subite envie de le prendre dans mes bras à cause de toute la tristesse qu'il dégage. Mais j'entends Roman m'appeler, ainsi que Tej. Deckard se reprend, se relève, et me lance un regard froid, contrastant avec les sentiments qu'il éprouvait encore quelques instants plus tôt.

« Je te retrouverais. Je te le promets. »

Il se met à courir pour s'enfuir, et je ne cherche même pas à le récupérer. Je claque mon poing sur le sol en criant de rage, et remarque que quelque chose dépasse du toit de sa voiture renversée. Je m'en approche et tire dessus, et trouve une photo pliée en quatre. C'est une photo de moi datant de deux-milles six, vieille, abîmée, mais chérie. Je la range dans ma poche lorsque j'entends Tej et Roman s'approcher.

« Lo, tu vas bien ?

- Ouais...

- Où est Shaw ?

- Je n'en sais rien. Il... il est parti avant que je ne descende de ma voiture.

- Merde. Il faut qu'on rejoigne les autres, viens. »

Je hoche la tête et laisse mes amis m'aider à me relever. Il faut que je reste concentrée sur la mission : arrêter Shaw. Mais j'ai maintenant encore plus besoin de savoir quel lien nous unissait. Il était prêt à pleurer. Et un homme comme lui ne pleure pas pour une simple camarade d'une mission.

Faster and Faster - TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant