CHAPITRE UN

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       Les parents de Noée l'avaient emmenée dans un musée quand elle était petite. C'était il y a de nombreuses années, déjà. Une période imprécise qui flottait dans sa tête. Pourtant, elle se souvenait encore de ce musée. Elle se souvenait des longs couloirs et des lumières chaudes. Des couleurs sur les toiles, accrochées aux murs. Elle se souvenait surtout des pièces consacrées à la musique. Les visiteurs s'y amassaient pour se taire. Et les notes se lançaient, d'abord timides, puis assourdissantes. Les mélodies prenaient toute la place. Il y en avait pour tous les goûts - pianos, guitares, violons, flûtes traversières. Très vite, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, Noée avait eu les larmes aux yeux. La musique s'était nichée au creux de son ventre et lui serrait le cœur. Il lui avait semblé que la musique était triste de ne plus vivre. Comme si elle sentait que ses notes se cognaient contre les murs, cloîtrées. Comme si elle sentait qu'elle mourrait à petit feu et qu'elle serait très vite oubliée.

       Noée, elle, n'avait jamais pu l'oublier.

       Ce jour là, en marchant le long des rues pour se rendre au travail, la musique vivait dans son crâne. Évasive, indistincte, mais bel et bien là. Elle rythmait ses pas.

       Noée avait connu le temps où les arts pulsaient encore. On les commémorait dans les musées. Les professeurs leur consacraient des cours entiers, parlaient d'eux comme des dieux oubliés. Pour tous les enfants de cette époque, qui n'avaient pas eu la chance de les connaître, les arts représentaient la beauté à son apogée, tout droit venus d'une ère à la fois si proche et si lointaine. Et puis les musées s'étaient vidés, les professeurs les mentionnaient de moins en moins, et les arts tombèrent dans l'oubli. Et qu'importe ce qu'en pensaient les artistes et les poètes de l'ancien temps - un monde sans arts avait émergé, et survivait. L'art avait disparu de la surface du globe, et la terre continuait de tourner, et le soleil se levait tous les matins, sans relâche.

       Noée ne pouvait s'empêcher de trouver la ville terne et difforme. Elle y était habituée, à force - ils y étaient tous habitués. Mais, parfois, elle examinait la ville du regard, comme elle l'aurait fait d'une toile de maître, et elle réalisait alors - les bâtiments en acier ou en verre, le nombre de voitures, les allers et retours de la foule. Elle observait de loin une société qui ne lui correspondait pas, concentrée sur le profit, à la poursuite du pouvoir. Noée, elle, aurait aimé avoir le pouvoir de changer les choses. Elle aurait aimé cligner des yeux et voir devant elle le monde prendre des couleurs, les arts se ranimer. Elle aurait aimé enfin respirer.

       En se rendant au travail, ce matin là, le cœur de Noée manqua un battement lorsqu'elle aperçut, au loin, le mur d'un bâtiment recouvert d'une fresque. 


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