CHAPITRE CINQ

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        Les jours, les semaines passèrent. Noée venait tous les jours au hangar. Dans cet endroit, plus que n'importe quel autre, elle respirait enfin à plein poumons. Elle se sentait prisonnière d'un entre-deux vertigineux, entre la ville où aucun art ne vivait et ne semblait même avoir vécu, et le hangar où l'art était l'unique horizon, le souffle de tous.

        Elle apprenait le violon pas à pas. Au bout d'un moment, ses notes sans but commencèrent à ressembler à quelque chose. Mais cela ne ressemblait en rien aux musiques de l'ancien temps, ni à celle qu'elle avait entendu au musée et qui lui avait chaviré le cœur.

        Car, même dans cet endroit où l'art représentait le sens de la vie, celui-ci restait inaccessible. Noée avait pourtant cru, en arrivant ici la première fois, que l'art vivait. La vérité était autre : on essayait, tant bien que mal, de remuer les dernières braises de l'art, sans qu'aucune étincelle ne s'attise. Combien de fois Noée vit des musiciens en colère, après s'être rendu compte que la mélodie qu'ils jouaient depuis des heures avait déjà été créée, ou, pire, qu'elle était vide de toute musicalité. Elle voyait les peintres tracer des couleurs sur leurs toiles, mais les tableaux étaient déjà vus et revus, ou ne témoignaient d'aucune vivacité. Et les écrivains, eux, après avoir tenté d'écrire une ligne, en vain, finissaient toujours par fixer le vide, le regard à sec.

        Cet endroit vivait au travers du désespoir des artistes. Mais ils continuaient, sans relâche, de toutes leurs forces. Cette détermination avait un goût d'espoir. Et cet espoir était tout ce dont Noée avait besoin. Alors elle aussi s'acharnait sur son violon.

        Il y avait également une chose à prendre en compte à laquelle Noée n'avait jamais songée. Éliane et les autres membres du repaire croyaient dur comme fer que le gouvernement n'y était pas pour rien dans la disparition des arts.

- À l'époque, l'art était censuré, lui avait expliqué Éliane. Ça a commencé avec la littérature. Et puis, ils ont fini par tout contrôler. L'art n'a pas disparu tout seul : il a été aboli par le gouvernement.

- Mais... Dans quel intérêt? demanda Noée, un peu sonnée.

- L'art ne rapporte aucun profit. Même à l'époque, ce n'était pas en devenant artiste que tu gagnais le plus d'argent. Mon arrière grand-mère voulait être chanteuse : elle n'y est jamais parvenue. Elle allait de cabaret en cabaret pour amasser à peine quelques pièces. Et pour l'état, quelque chose qui ne rapporte pas d'argent est inutile.

- Mais pourtant, tu vois bien que personne ici ne parvient à créer une œuvre d'art, objecta Noée. Ça me brise le cœur de le dire, mais... c'est bien que c'est vrai, tout ça. Peut-être que le gouvernement a supprimé l'art, mais l'art n'est plus possible, ça, c'est avéré. On ne peut rien y faire.

- On peut essayer, lui avait répondu Éliane, avec cet air déterminé qui la caractérisait. On peut toujours y croire. Et ne jamais, jamais baisser les bras. Sinon, autant être mort. Je ne veux pas de ce monde là. Je ramènerai l'art jusqu'à nous moi-même s'il le faut.

les étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant