CHAPITRE QUATRE

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         Tout alla très vite. Elles longèrent le fleuve, dévalèrent un escalier, traversèrent des rues sans noms. Éliane regardait souvent derrière elle, comme si elle craignait d'être poursuivie. Après quelques minutes, elles arrivèrent devant un hangar en bois aux fenêtres recouvertes, qui paraissait à deux doigts de s'effondrer.

- Quel est cet endroit? demanda Noée, qui commençait à se demander où elle avait atterri.

- Fais-moi confiance.

        Et Éliane poussa la porte, dans un grincement qui stria le silence de la nuit.

        Une fois à l'intérieur, Noée fut submergée par une avalanche de couleurs.

        Des tables étaient installées de part et d'autre, recouvertes de divers papiers, de crayons et de pots de peinture. Ici et là, on trouvait des chevalets surmontés de toiles, et aussi une bibliothèque. Tout près, une vingtaine d'instruments étaient soigneusement rangés dans des caisses, à côté de quelques bureaux où trônaient de vieilles machines à écrire.

        Dans ce hangar délabré, en plein coeur de la ville, les arts avaient repris leur souffle. Si Noée avait su que depuis visiblement un long moment, peut-être même des années, ce dont elle rêvait le plus était là, à quelques pas d'elle...

        Mais ce qui bouleversa le plus Noée fut les personnes présentes dans ce hangar. Une vingtaine seulement, mais il émanait d'elles une telle présence qu'elles représentaient un monde à elles seules. Elles peignaient, dessinaient, sculptaient, dansaient, lisaient, écrivaient. Concentrées et légères à la fois. Le cœur à l'ouvrage. Si elle n'était aussi tendue, Noée aurait pu en pleurer. Elle n'était là que depuis quelques minutes, et pourtant, elle trouvait ce hangar infiniment plus vivant que la ville ne l'avait été à ses yeux en plusieurs années.

        Elle visita les lieux, le regard partout, le cœur au bord des lèvres. Elle regarda de plus près les peintres, les musiciens, les écrivains, les danseurs, les acteurs. Elle avait l'impression d'avoir fait un bond dans le passé, ou d'avoir atterri en plein milieu du futur - dans tous les cas, elle n'arrivait pas à croire qu'elle était toujours dans la réalité, le monde qu'elle avait toujours connu. Elle avait cette impression vertigineuse de s'être retrouvée en plein milieu d'un mirage, d'un rêve duquel elle ne voulait jamais, jamais se réveiller.

        Elle s'approcha d'un violon et passa sa main sur le bois.

- Tous ces instruments, livres, machines à écrire, toiles... proviennent de greniers, de caves, lui expliqua Éliane. Ça nous a pris des années et des années pour rassembler tout ça. Certains outils ne sont même pas de grande qualité, mais on fait avec.

        Noée effleura les cordes du violon et sursauta lorsqu'une note se déclencha. Son cœur fit un bond dans sa poitrine.

- Tu veux essayer? lui proposa Éliane, tout sourire à ses côtés.

        Elle l'aida à le disposer sur son épaule et lui remis l'archet. Noée souffla, glissa l'archet le long des cordes - un son criard s'en dégagea. Tout le monde se retourna vers elle. Éliane se mit à rire.

- Tu as encore beaucoup à apprendre. Mais c'est normal. Et la vie est meilleure comme ça, pas vrai?

        Alors Noée sourit.

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