CHAPITRE NEUF

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         Ils rentrèrent au hangar, la tête basse, dans un silence assourdissant qui ne leur ressemblait pas. Les uns s'affalèrent sur des chaises, les autres restèrent plantés là, comme paralysés. Ils étaient désoeuvrés, las. Ils avaient comme une pierre dans la poitrine, à la place du cœur, et une autre qui leur obstruait la gorge. Il n'y avait pas de larmes, pas de mots pour exprimer l'abattement qui les bousculait tous. C'était comme voir le monde s'écrouler - mais le monde tournait bel et bien rond ; c'était eux, tout simplement, qui n'avaient plus rien à voir avec lui, qui y étaient complètement étrangers.

        Et maintenant? La question était sur toutes les lèvres, mais ils étaient terrorisés à l'idée de lui donner vie.

        Noée avait un goût amer dans la bouche. Elle fit quelques pas dans le hangar. Au détour d'une table, elle aperçut alors le dessin que Félix avait fait d'elle, plusieurs semaines - une éternité - auparavant : elle, son violon amoureusement placé tout contre elle, son regard déterminé.

        Cela existait encore. Cela était réel.

- Rien ne nous dit que le désintérêt des gens pour l'art est éternel, lança-t-elle, d'une voix tremblante et forte à la fois.

- Arrête, Noée. C'est fini, la coupa Éliane, exténuée. Tu l'as bien vu aujourd'hui : les policiers avaient raison, personne ne s'est arrêté, personne ne nous a écouté. Les gens ont rayé l'art de leur vie.

- Les gens aujourd'hui. Qu'en sera-t-il des gens dans dix ans? Dans cinquante? Dans des centaines d'années? Qu'en est-il de nous?

        Des murmures et des tremblements parcoururent les artistes, de part et d'autre du hangar.

- Peut-être que dans des années et des années, des personnes s'intéresseront à l'art, à cette chose du passé tombée dans l'oubli, continua Noée dans sa lancée. Peut-être que ces personnes dépoussiéreront les instruments, les machines à écrire, les livres. Peut-être qu'ils recommenceront à créer. Peut-être même qu'émergeront des nouvelles formes d'art. Qui sait?

- Et alors? soupira une danseuse, recroquevillée dans un coin de la salle. Qu'est ce qu'on a à faire là dedans, nous? On peut simplement se laisser mourir et espérer.

- Non. Nous, on créé. Et on laisse derrière nous des œuvres. Qui deviendront des traces, puis des vestiges du passé. On laisse derrière nous la preuve que l'art a existé, et que des petites personnes, à leur échelle, ont tout tenté pour le faire renaître. On laisse derrière nous l'étincelle, et on fait confiance aux prochains pour raviver les arts. On y croit. Et on continue, sans relâche.

        Un silence pesant survola le hangar. Le dernier silence qu'il connut. Après un temps, chacun se redressa, petit à petit. Les peintres se saisirent de leurs pinceaux et les musiciens de leurs instruments, les écrivains s'assirent en face de leur machine à écrire, les acteurs et les danseurs cheminèrent jusqu'à la scène. Ils reprirent leur souffle, et, d'un seul et même mouvement, se mirent au travail.

les étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant