CHAPITRE SEPT

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         Une fois les tableaux peints, les romans écrits, les émotions retranscrites en musique, il fallait bien faire quelque chose de tout cela. L'art peut-il exister s'il n'est pas présenté aux yeux du monde entier? Les membres du hangar voyaient en leur action une véritable révolution : en mettant en avant ce qu'ils venaient de créer, le peuple retrouverait l'amour de l'art, le gouvernement plierait, et les arts pourraient renaître dans la société, plus resplendissants et triomphants que jamais.

        Une nuit où les étoiles clignotaient, ils quittèrent le hangar. Ce fut une véritable farandole dans la ville - une troupe d'une vingtaine de personnes qui se faufilait dans les rues, portant à bout de bras leurs toiles, leurs livres, leurs instruments. Et les danseurs trottinaient, leurs pointes à la main.

        Ils éclaboussèrent la ville de couleurs. Disposèrent les toiles de part et d'autre, sur les bâtiments, les rames de métros, et peignirent les murs. Les livres furent posés sur tous les bancs existants, des morceaux de texte délaissés sur le bitume et les pavés.

        Ils s'installèrent en petit groupe à travers la ville, et attendirent le lever du jour, fébriles, libres, le cœur grand.

         Au petit matin, la ville connut un plus grand élan artistique en l'espace de quelques minutes que durant des années et des années entières. Au milieu du sol jonché de textes, au milieu des toiles et des livres, les danseurs, les acteurs se démenèrent, en harmonie avec les musiciens. La musique, revivifiée, s'élançait vers les passants jusqu'au ciel. Noée, son violon contre son épaule, sentait des larmes rouler le long de ses joues face au spectacle. Qu'importe l'issue, elle savait que jamais elle n'oublierait cette fois où, l'espace d'un instant, ses camarades et elle réussirent à faire renaître les arts, en plein cœur d'une ville qui les avait abandonnés.

        Le moment passa comme un rêve. Les passants passaient à côté d'eux sans les voir, continuaient leur discussion, leur train-train quotidien. La police ne tarda pas à faire leur entrée au milieu du spectacle pour les faire arrêter. La musique persista aussi longtemps qu'elle le put, avant de s'éteindre brutalement. Les passants reprirent le cours de leur vie, comme si rien ne venait d'arriver, comme si les miracles n'étaient pas possibles en ce monde.

les étincellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant