Éros sentit comme un déchirement en son sein. Il ne parvenait guère à discerner exactement de quoi il s'agissait, mais il fut persuadé que quelque chose de grave venait tout juste de se produire.
Il regarda son frère devant lui qui observait les alentours, juché sur la partie supérieure du dos de Phúlax. Ses cheveux, déjà naturellement dorés, étaient encore plus clairs qu'avant et projetaient par moments inconstants des étincelles, à l'instar des mèches châtaines du dieu de la Guerre. Cupidon pensait que c'était sans doute grâce à l'accroissement de sa maîtrise du Feu Originel, qui peu à peu se manifestait physiquement et quotidiennement.
Le dieu de l'Amour avait évidemment, comme tous les autres, remarqué que les pouvoirs de Daímôn se décuplaient de plus en plus rapidement – tout comme sa confiance en soi. Il se souvenait de lui, il y avait à peine un mois, alors aussi faible et inoffensif qu'un jeune faon. Éros pensait que ce changement et cette nouvelle assurance du dieu des Dragons étaient dus au combat contre Arès et les dieux de l'Hiver.
Devait-il lui faire part de ce qu'il venait de ressentir ? Il n'aurait su dire. Daímôn était déjà bien trop préoccupé par ses futures tâches.
Laissons-le se focaliser intégralement dessus, décida-t-il donc.
D'autant que quelque chose accaparait Daímôn, Cupidon en était convaincu. Qu'était-ce ? La question demeurait entière. Néanmoins, ce secret avait éclos la nuit dernière, après cette sorte de rêve étrange – ou plutôt ce cauchemar. Éros avait tenté de pénétrer plus d'une fois dans l'esprit du puîné des Primordiaux, mais à chaque fois, il se frottait à un véritable rideau de feu dressé tout autour de ses pensées. Son frère devait avoir trouvé un moyen de se protéger de toute intrusion. Phúlax lui venait sûrement en aide également.
Ses pouvoirs grandissent trop vite, se dit Éros. Et pourquoi me cache-t-il ce qu'il a vu ou entendu la nuit dernière ? Ne me fait-il plus confiance ?
Tout comme Daímôn, le dieu des Sentiments avait senti que quelque chose s'était effectivement brisé entre eux quelques heures auparavant, mais il ne parvenait à savoir quoi exactement. C'était bien la première fois qu'il se confrontait à autant de contraintes d'une telle nature. Personne n'était capable de lui dissimuler quoi que ce fût. Il était à même de percer n'importe quelle défense mentale. Or, avec son frère, la tâche relevait de l'impossible.
Daímôn ne semblait pas avoir ressenti le mal qui rongeait maintenant l'esprit d'Éros. Il n'était pas aussi sensible aux fluctuations dans l'air. Cupidon s'apprêta tout de même à lui en toucher un laconique mot, quand Daímôn dit :
— Nous ne devons pas nous inquiéter pour eux. Ils vont se débrouiller, je leur fais confiance. Ils sont forts, et Pûr est avec eux. Ils ne craignent rien. Nous devons nous concentrer sur notre propre mission.
Cupidon se ravisa et avala sa salive. Daímôn avait raison : ils ne devaient pas se préoccuper des autres. Ils auraient déjà suffisamment à s'inquiéter dès qu'ils auraient atteint le palais du dieu des Mers.
Le troisième né des Primordiaux connaissait bien Poséidon. L'Olympien était d'une forte nature colérique, indomptable, et partiellement lunatique. Il était comme un tsunami engloutissant les terres, comme un séisme ravageant les cités. Protecteur d'une, il était le fléau d'une autre, et les rôles pouvaient s'interchanger suivant les actes des citoyens ou ses humeurs. Ils allaient devoir être très prudents. Pis que tout, Cupidon ignorait totalement comment le Seigneur des Mers allait réagir en voyant le Dragon plus bleu que toutes les eaux turquoise de ce monde.
— As-tu une idée de ce qu'Athéna mijote, au juste ? demanda alors Daímôn.
Cupidon répondit « non ». C'est vrai qu'il n'avait pas du tout la moindre idée de ce que pouvait bien envisager la déesse de la Sagesse. Mais il la connaissait, l'Olympienne en qui l'on pouvait offrir pleine confiance.
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Kháos, tome 2 : Le Seigneur des Mers
Fantasy« Jouir de l'immortalité est un don comme une malédiction. Mais pour un Primordial, progéniture de Kháos, c'est avant tout le devoir inéluctable qui prédomine. » Désormais fort de son identité, de son épée et de deux des Dragons Primordiaux, Daímôn...