III - Ἄρτεμις (partie 1)

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La déesse de la Sagesse scrutait chaque parcelle de la surface des mers afin de trouver celui qu'elle cherchait désespérément. Bien sûr, elle savait pertinemment qu'il n'était guère l'immortel le plus aisé à localiser ; cependant, elle était convaincue que celui qu'on affublait du quolibet de « Vieillard des Mers » avait un endroit préféré parmi les royaumes aquatiques qui gouvernaient les trois-quarts de l'étendue totale du monde des mortels.

En état de transe, une partie de son esprit ne cessait néanmoins de penser aux autres et à la situation dans laquelle ils pouvaient bien se trouver. Elle était spécialement accaparée par son jeune frère et Pandore face aux aigles de son père. Athéna ne doutait pas une seconde de la puissance d'Héphaïstos l'Olympien, mais plutôt de celle de sa fille. Pandốra, « Celle qui a tous les dons », avait beau être une fière battante prête à aider ses alliés sous tous les risques, elle n'en était pas moins faible car totalement dépourvue de propriétés divines comme ses autres confrères immortels. En repensant au jour de sa conception, Athéna regretta de ne pas l'avoir aguerrie de quelques facultés pour se protéger, en plus des dons qu'elle lui avait déjà fournis, entre autres la vie, l'habilité manuelle et l'art du tissage – ce dernier bien inutile en temps de guerre.

Elle pensa également au fils de Kháos. Elle craignait évidemment pour sa vie, mais aussi pour celle de son oncle Poséidon. Daímôn était capable de tout, comme tuer un dieu, et l'accroissement de ses pouvoirs et de leur force était forgé dans une dualité manifeste : bons et mauvais augures pour les immortels comme pour les hommes. La Sagesse regrettait de ne pas avoir eu le temps nécessaire afin d'apprendre à Daímôn à canaliser ses pouvoirs. Elle redoutait simplement que le Primordial n'en vînt à devenir l'objet, l'instrument, l'esclave de ses capacités. De plus, l'atmosphère régnant chez les dieux à son égard n'arrangeait rien. De ce fait, Daímôn était toujours sur ses gardes, et ne parvenait jamais à se calmer. Pis que tout, ce ne serait guère avec le dieu des Océans que cela changerait.

Nièce de ce dernier, Athéna connaissait bien le dieu des Mers. Elle ne comptait plus le nombre de fois où ils avaient été en conflit explicite ou implicite. Outre les joies que Poséidon se donnait à la courtiser, un épisode marquait tout particulièrement leurs disputes.

Il y avait de cela bien des millénaires, Poséidon et Athéna s'étaient disputé la propriété de l'Attique, et notamment de sa cité principale, Athènes – laquelle ne portait pas encore cet illustre nom. Il avait alors été décidé qu'un futur Athénien serait le juge, afin de choisir lequel des deux Olympiens méritait le plus de devenir le dieu tutélaire de la région grecque. On avait fait ainsi venir le mortel Cécrops (Ξ), fils de la Terre, mi-homme mi-serpent et roi d'Athènes. Pour trancher, Cécrops avait demandé aux deux candidats d'offrir chacun un cadeau à la glorieuse cité.

Poséidon avait alors dégainé son Trident (Ψ) et frappé le sol devant lui. De ce violent impact avait jailli une mer d'eau salée en plein cœur du Parthénon. Le dieu avait promis que celle-ci ne s'assécherait jamais et leur apporterait prospérité et richesse pour l'éternité ; Cécrops l'avait remercié chaleureusement.

Une autre version contait que le dieu avait créé le cheval à partir de l'écume et l'avait donné aux futurs Athéniens. Athéna se demandait qui avait bien pu inventer cette sornette. L'équidé avait été créé bien des siècles auparavant.

Les mortels savent faire montre d'inventivité, mais est-ce seulement de cela qu'il s'agit ? se dit-elle. Ne cherchent-ils donc pas à façonner leur propre Histoire selon leur bon vouloir, ou n'est-ce que mauvaise interprétation des songes ?

Athéna, elle, avait mis quelque temps avant de sélectionner précisément son présent. Elle avait jeté un œil à la terre devant elle. Alors, agitant une gracieuse main, elle avait fait sortir une racine du sable et l'avait fait évoluer. La racine avait donné naissance à un petit tronc, puis à de petites branches. Au bout de ces extrémités, de rachitiques noyaux avaient poussé et s'étaient recouverts de chair verte et tendre. Athéna avait ainsi donné naissance au tout premier olivier et ses fruits, qui plus tard feraient la fortune de l'Attique – et devenant ainsi un nouvel attribut de la déesse de la Clairvoyance.

Kháos, tome 2 : Le Seigneur des MersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant