❥ Jour 7: Paperasse

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Des feuilles, des feuilles, et encore des feuilles. Pages, papiers, documents, accaparaient une surface de travail bien trop petite pour contenir cette panoplie de paperasse qui ne demandait qu'à être remplie à l'aide d'un bon vieux stylo-plume. Rivaille se trouvait au milieu de cette myriade blanche et noire de dossiers importants, yeux arborant des cernes plus creux que jamais, presque aussi noirs que le thé baignant dans sa sempiternelle tasse en porcelaine.

Hier, ressortir du bureau du major avec une pile de documents inachevés avait été assez éreintant. Croiser les regards hagards des soldats endeuillés par la mort de leurs compagnons d'armes avait été harassant. Fuir les yeux interrogateurs d'Erwin lorsque celui-ci l'avait surpris en train de choisir méticuleusement dans ses piles de feuilles blanches des dossiers encore incomplets avait été embarrassant. Car oui, Rivaille devait bien avoir rempli plus de paperasse que le major et les caporaux réunis. Sauf qu'il avait besoin de ce travail. Plus que tout. Alors, hors de question d'abandonner à l'idée d'un simple pénible aller-retour entre son bureau et celui du major.

Et son entêtement avait porté ses fruits. Oui, car voilà déjà plus de 9h que le travail embrasait les pensées meurtries du caporal-chef de la plus apaisante des façons. Voilà déjà plus de 9h que le soldat le plus fort de l'humanité avait sombré dans un rassurant tourbillon d'approbations et de signatures. Voilà déjà plus de 9h que le souvenir des excuses que cette binoclarde avait prononcées, mêlées d'une pitié à lever le coeur et d'une empathie à frémir de dégoût, se faisait de plus en plus lointain en son esprit torturé.

Rivaille Ackerman se sentait lavé de toute haine mal placée, de regrets étouffants et d'émotions insipides grâce aux feuilles que grattait l'embout de son stylo avec ferveur. Loin de lui l'idée, alors, de faire une pause de ne serait-ce que quelques secondes pour daigner répondre à la silhouette qui s'évertuait à abîmer la porte de son bureau à coups de poing répétés.

Boom. Boom. Boom.

« Rivaille, je sais que tu es là ! Ouvre cette foutue porte, enfin ! »

Non, définitivement, loin de lui l'idée d'acquiescer à la requête de cette binoclarde. Il allait l'ignorer. Jusqu'au bout. Oui, Ignorer. Avec un I majuscule. Toujours et encore. Encore et toujours. Car n'était-ce pas ce qu'il avait fait sa vie durant ? Ignorer la douleur. Ignorer la faiblesse. Ignorer les regrets. Ignorer son existence même. Oui, Ignorer. Rejeter. Mépriser. Et cela avait toujours fonctionné. Ignorer menait à l'abandon. Pourquoi continuer à s'acharner sur quelqu'un qui ne répondait même plus à nos plus profondes supplications ? Pourquoi continuer à s'entêter obstinément alors que son interlocuteur ne pouvait être plus froid que la glace même ? Pourquoi continuer à s'évertuer contre celui qui ne pourrait être plus insensible ? Voilà probablement ce que se disaient nombre de soldats ayant tenté d'avoir une conversation avec le caporal-chef. Et qui avaient fini par laisser tomber. Car oui, pourquoi l'homme le plus fort, le plus fier, le plus orgueilleux de toute l'humanité daignerait répondre aux supplications d'un simple soldat ?

Boom. Boom—

De l'autre côté de la porte, les coups avaient cessés. Hansi devait probablement suivre le même cheminement de pensées que tous les soldats ayant frappé avant elle. Et être arrivée à la même conclusion. Oui, elle allait partir, Rivaille le sentait. Après avoir passé six jours à essayer de discuter avec l'homme le plus froid de l'humanité, cette binoclarde avait assurément compris qu'il n'était rien de plus qu'un insensible. Et qu'il ne valait plus la peine de s'acharner.

Comme de fait, quelques secondes suffirent pour que les pieds de l'autre côté du morceau de bois fassent demi-tour, penauds, pour s'éloigner à grand bruit dans les couloirs du QG du bataillon d'exploration. Et Rivaille aurait réellement aimé se sentir soulagé. Soulagé d'avoir retrouvé le silence de son bureau minimaliste à l'atmosphère glaciale. Mais, étrangement, ce ne fut pas le cas.

« Non. » [𝐀 𝐋𝐞𝐯𝐢𝐡𝐚𝐧 𝐒𝐭𝐨𝐫𝐲]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant