Chap 1 • Mélodie

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Ma mère rentre dans la pièce et soupire en me voyant affalé sur le divan.

- Rémi je t'ai demandé de t'occuper des cartons ! Il est 17h et tu en as toujours pas touché un seul ! Tu vas pas passer tes journées allongé ici !

Je l'écoute débiter ce discours, hymne à mon inefficacité, sans réagir pour autant. Face à mon indifférence elle soupire et lève les yeux aux ciel.

- Rémi, s'il-te-plaît, bouge-toi, je t'en supplie. J'en peux plus de te voir végéter comme une légumes sur ton canapé.

- Et ben regarde pas.

Désespérant de me faire bouger ma mère sort de la pièce en claquant la porte. Je jette un œil autour de moi sur tous les cartons que je suis censé commencer à ranger dans ce qui va désormais être "ma chambre". J'ai beau faire tous les efforts possibles et imaginables, je n'arrive absolument pas à me sentir chez moi dans cette nouvelle maison. J'ai pas l'impression de commencer une nouvelle vie. Non, j'ai l'impression d'avoir mis la vraie en pause et de vivre en ce moment, sans la vivre réellement, une vie secondaire, qui ne durera qu'un temps, avec une famille provisoire. Depuis un mois je vis dans l'espoir. L'espoir de me réveiller d'un mauvais cauchemar et de retrouver la maison pleine de joie de notre petite famille de quatre. Ma mère dans le jardin, à arroser les fleurs qu'elle essayait désespérément de faire pousser quand on ne marchait pas dessus, mon père dans son bureau qui râle parce qu'on ne lui a pas apporté son café de 10h, moi qui parcourt la maison en courant pour faire semblant de chercher ma petite brune alors que je savais très bien où elle était cachée, et enfin la petite fleur de la maison, cachée derrière le rideau bleu du salon et qui fait entendre son rire cristallin dès que je passe près de sa planque. Son petit rire léger qui rythmait la vie de la maison depuis son plus jeune âge et encore le jour de ses quatorze ans. Ce rire qui s'est éteint... beaucoup trop tôt.

Je me lève précipitamment du divan en envoyant valser mon téléphone par terre. Non. Elle n'est pas partie. C'est faux. Ils disent tous ça mais je sais que c'est faux. Je vais me réveiller, elle sera là, au pied de mon lit, parce qu'elle aura fait un cauchemar et qu'elle aura peur, alors je la prendrai dans mes bras et elle s'endormira contre moi, comme elle le faisait du haut de ses cinq ans, puis sept ans, puis dix ans, comme elle l'a toujours fait et elle le fera toujours.

J'essaye de faire comme si je ne sentais pas les millions de sentiments qui m'envahissent soudain. La colère, la tristesse, la haine, la honte,... Je déteste replonger dans mes souvenirs.

Il faut que je me change les idées. Je ramasse mon portable et sors précipitamment de ma chambre. L'escalier froid tremble légèrement sous mes pas qui le martèlent tandis que je descends dans l'entrée. J'attrape une veste et mes clés et sors en claquant ma porte. Mes parents seront prévenus d'un simple message "Me cherchez pas, je rentrerai plus tard". Après tout, ils sont plus à un gosse près.

L'air chaud de la fin d'après-midi m'apaise un peu. La fin de l'été se fait sentir, dans une grosse semaine c'est la rentrée, j'ai presque hâte... Oula, j'ai dis quoi là ?! Hâte de la rentrée ?! T'es sûr que t'es pas malade Rémi ?! En vrai c'est pas vraiment hâte de la rentrée. C'est plutôt... hâte que cet été se termine. Que ce soit fini. Que tout soit fini.

Je marche droit devant moi sans vraiment savoir où je vais. Je passe dans plusieurs rues vides où seuls deux trois jeunes sont assis en bande et profite des derniers moments de vacances, un ou deux parcs décorés de crottes de chiens que des mémés n'ont pas pu ramasser à cause de leurs rhumatismes sûrement, un super-marché ouvert mais qui n'avait pas l'air d'avoir un franc succès, et deux ou trois bar où quelques clempins sont accoudés au comptoir, déjà torchés à 17h30. Cet environnement ne me dit rien qui vaille, c'est bien loin de notre joli petit village de Dordogne où les voisins passaient leurs vacances à faire tourner les potins du village et s'inviter pour des aprem pétanque.

Je marche un bon moment, peut-être une heure ou deux, je sais pas trop. Je me pause aussi quelques minutes, dans un petit square avec des jeux pour enfants, abandonné de tout type d'être humain de petite taille avec les joues roses et les cheveux fins décoiffés qui hurlent, pleurent, rient, crient et te font te demander pourquoi ils existent. Puis je repars et marche encore un moment.

Une fois ma promenade terminée et mon esprit reposé, le soleil a déjà disparu dans le ciel et l'obscurité commence progressivement à arriver. Je me dirige à nouveau vers la nouvelle maison qui doit me servir de "chez-moi" en trainant un peu des pieds. J'ai pas envie de rentrer. J'ai pas envie de voir mes parents. J'ai envie de voir personne. Alors je décide, au lieu de rentrer directement, d'aller me poser un moment dans le jardin, beaucoup plus petit que notre précédent, mais qui a tout de même le mérite d'exister. Quand j'arrive dans la ruelle, j'escalade le muret et me sert de la branche du mûrier pour sauter de l'autre côté. Je m'allonge dans l'herbe de ce coin de verdure... tout petit coin de verdure... mais bon c'est déjà ça...

Le vent m'apporte quelques bruits. Le quartier est pourtant plus calme que je ne me l'imaginais... Peut-être parce qu'on est un peu éloigné du centre-ville. J'entends des voitures au loin, quelques cris d'enfants, quelques voix très éloignées, des moteurs, un ou deux oiseaux un peu perdu. Et dans tout ce bruit de fond, juste derrière la petite haie qui sépare notre jardin de celui des voisins, une mélodie s'élève.

Un air de guitare doux et calme retenti et apporte de la sérénité à la scène. Je l'écoute attentivement sans bouger. Qui est-ce ? Un voisin ? Une voisine ? Un CD ? Non, je ne pense pas, parce qu'on entend parfois le doigt glisser sur la corde ou un petit grognement d'une corde mal pincée. Mais malgré ça... c'est magnifique. Le joueur est vraiment doué... Je l'écoute un long moment. Puis tout d'un coup, plus rien. La mélodie s'arrête, un bruissement me sort de ma contemplation et une porte claque. Monsieur Guitare est parti ? Ou Madame d'ailleurs... Dommage... J'étais bien là...

Je soupire un peu puis rentre à mon tour dans la maison. Mes parents sont entrain de manger dans la cuisine, sur la petite table de bois au milieu des cartons, je leur passe devant sans répondre à leurs reproches "Rémi t'étais où" "tu vas pas commencer à trainer encore !" "Viens manger c'est important pour ton corps".

Je monte l'escalier sans me soucier d'eux et m'enferme dans ma chambre. Avant de me coucher, j'ouvre la fenêtre au-dessus de mon lit, dans l'espoir que, pendant la nuit, un air de guitare vienne me bercer et me faire rêver.

Dans le cœur - AliexOù les histoires vivent. Découvrez maintenant