5. Mercredi

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Ce matin le talon de ma chaussure droite s'est cassé, je suis retournée chez moi pour mettre des sandales plates.
En arrivant devant l'école il est déjà 9h00, Ed et Bridget ne sont plus là. Cette journée commence très bien...hyper bien même ... comment je vais faire pour trouver la salle. Je me dépêche d'aller demander au secrétariat.
J'arrive avec quinze minutes de retard en cours. Je frappe à la porte, personne ne répond, j'ouvre la porte et je me retrouve face à une femme assez âgée, les cheveux blancs courts et des lunettes rouges posées sur le dessus de sa tête, je dirais qu'elle est proche de la soixantaine.
– Bonjour madame, veuillez m'excuser pour mon retard, dis-je essoufflée
– Bonjour, j'étais justement en train de dire que je n'accepte pas les retards de plus de cinq minutes. Mais alors vous, vous battez les records! Quinze minutes de retard alors que cela fait à peine trois jours que l'on a commencé, répond-elle
– C'est justement pour ça que je suis en retard. Parce que je suis nouvelle, je ne connais pas encore les lieux.
– Eh bien ce n'est pas une excuse! Il faut partir plus tôt c'est tout! Je vous accepte dans mon cours pour cette fois, parce que c'est le premier jour et je veux que tout le monde soit présent pour mon premier cours. Mais dites-vous bien que la prochaine fois je ne ferai pas de cadeaux.
– Oui madame, réponds-je en allant m'assoir vers le fond.
– Mademoiselle. Quel est votre nom ?
– Carly Miller.
– Mademoiselle Miller, il y a des places devant. Mettez-vous là, dit-elle en me montrant le premier rang face à son bureau.
Je lance un regard de détresse à Ed et Bridget assis au fond, Ed se met à rire et Bridget me fait un regard de compassion.
– Bien, nous pouvons enfin commencer. Je suis Mme Baker, dans mon cours, nous allons apprendre à décrypter et à comprendre une œuvre, il peut s'agir d'un tableau, d'une sculpture ou d'un poème.
Elle allume le rétroprojecteur, une peinture d'Edvard Munch "le cri" apparaît, je reconnais immédiatement cette œuvre, elle m'a beaucoup inspirée quand j'ai commencé à peindre.
Une sonnerie de portable retentit je regarde autour de moi avant de me rendre compte que c'est la mienne, je récupère mon portable à toute vitesse, c'est Nelly qui m'a envoyé un message.
– Mademoiselle Miller, levez-vous s'il vous plaît ! s'exclame Mme Baker.
Je la regarde pendant quelques instants avant de me lever. J'espère qu'elle ne va pas me virer.
– Mademoiselle Miller, je crois que je me rappellerai de votre nom mais pas dans le bon sens du terme !
Je baisse la tête, elle doit me détester...
– Vous arrivez en retard à mon cours, qui s'avère être en plus votre premier cours avec moi, vous me sortez un excuse bidon pour justifier votre retard et vous vouliez vous assoir dans le fond de la classe, malgré tout ça je suis restée calme et je vous ai accordé le bénéfice du doute. Mais maintenant c'est votre portable qui se met à sonner ! C'est une blague ! On me fait une caméra cachée ?
Elle commence à hausser le ton... là c'est sûr que je vais me faire virer...
– Madame, dit Ed dans le fond de la classe Mme Baker lève les yeux vers Ed et demande
– Quoi ?
– Je trouve que vous y allez un peu fort, ça peut arriver à tout le monde d'arriver en retard et pour son téléphone elle le mettra en silencieux la prochaine fois.
J'ai envie de remercier Ed, je n'en reviens pas qu'il m'ait soutenu. Mais il est fou! Il se fera virer avec moi c'est sûr.
– Mais vous êtes qui vous ?
– Je suis Ed, Edward Colin.
– Et bien monsieur Colin, je n'oublierai pas votre nom non plus! Cela fait des années que j'enseigne et je n'ai jamais vu une classe aussi irrespectueuse le premier jour, surtout en troisième année. C'est contre mes principes de virer les gens de mon cours, mais je suis à deux doigts de faire une exception pour vous deux! Si quelqu'un a une autre remarque à faire je vous écoute.
Plus personne n'ose parler.
– Bien. Mademoiselle Miller, au tableau, mettez-vous face à la classe.
Je m'avance timidement, et me tiens debout face à la classe. Qu'est-ce qu'elle va me demander? J'aurai préféré qu'elle me vire...
– Vous allez nous décrire cette œuvre. J'imagine que ce sera difficile si vous ne la connaissez pas mais ce sera un bon exercice.
Je suis soulagée, elle croit que je ne connais pas cette œuvre mais elle se trompe.
– On vous écoute, continue-t-elle.
Je me racle la gorge et me lance.
– Ce tableau s'intitule « le cri », il s'agit d'une œuvre d'Edvard Munch, un peintre norvégien considéré comme le pionnier de l'expressionisme.
Il représente un homme fixant le spectateur, poussant un cri horrifié en se tenant le visage. L'homme se trouve sur un pont avec deux autres personnes visibles à l'arrière-plan, il est chauve et porte des habits noirs. Sa silhouette est fantomatique, déformée tout comme le large ciel orangé derrière lui et les eaux sombres défilant sous le pont. La silhouette des autres personnages n'est pas déformée contrairement à lui.
Plusieurs hypothèses ont été faites concernant la signification de cette œuvre, certains disent qu'il s'est inspiré de sa vie, à l'époque il vivait près d'un abattoir et d'un asile psychiatrique où résidait sa sœur, l'expression horrifiée de l'homme et sa silhouette déformée représenterait donc l'anxiété du personnage et son trouble bipolaire.
Edvard Munch a dit lui-même qu'il avait trouvé l'inspiration en empruntant un sentier, il entendit une sorte de hurlement, un cri à travers la nature, et voulut le représenter de cette façon.
D'après moi, cette silhouette représente une âme tourmentée et horrifiée par ce qu'est devenu le monde aujourd'hui, un monde où le pouvoir et la richesse sont plus important que l'amour et le partage, un monde où l'inquiétude humaine est banalisée, un monde où l'ambition ne rime plus avec passion mais avec désillusion...
Je regarde au sol pendant quelques instants, puis je relève la tête, tous les regards sont posés sur moi. Ils doivent me prendre pour une folle, j'ai fait un monologue alors que je devais simplement décrire rapidement ce tableau, j'avais complètement oublié que j'étais debout face à eux...
Et soudain, toute la classe se met à applaudir.
Mme Baker se lève, s'avance vers moi et fait signe à la classe de s'arrêter.
– Mademoiselle Miller, je suis assez... impressionnée... je ne savais pas que vous... que vous connaissiez cette œuvre, et l'analyse que vous en avez faite est assez... perspicace. Bégaye-t-elle
– Merci Madame.
– Bien, nous avons terminé pour aujourd'hui. Gardez en tête l'analyse de Mademoiselle Miller, la prochaine fois nous étudierons une autre œuvre.

Moi c'est Carly - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant