Le trajet passe, lentement mais sûrement. Il faut dire que l'aéroport militaire est assez loin de la ville.
- Phoebe?
Son ton est triste, ce qui me fait quitter des yeux la route plus longtemps qu'il ne l'est recommandé pour le dévisager.
- Hm?
Je suis prudente. Qui sait ce qu'il peut me sortir.
- Imagine si j'avais été tué là-bas. Comment t'aurais réagi?
Je me vois dans l'obligation de me garer sur le bas-côté. Je ne peux pas répondre à un truc pareil en étant concentré sur ma conduite.
- C'est quoi comme genre de question, ça? je ne sais pas pourquoi, mais je suis plus énervée que nécessaire. A croire qu'il a touché un point sensible.
- Juste comme ça. Il se tourne vers moi puis croise ses bras sur son ventre. Je dois savoir... Je veux pas mourir sachant que je laisse derrière moi une personne comme toi détruite par ma disparition.
- On s'en fiche de ça! je lève les mains en l'air, frustrée. Pourquoi tu veux pas juste profiter de ta vie au lieu de te demander qu'est-ce qui arrivera aux gens qui restent en vie si tu meurs?
- Avec un travail comme le mien, bien sûr que je vais me poser des questions de ce genre! lui aussi commence à s'échauffer, mais je ne veux pas me disputer avec lui. Pas maintenant. Pas après la peur qu'il m'a fait au camp.
- Mais moi, je ne veux pas y penser! C'est si difficile à comprendre?
Pendant quelques secondes, il ne dit rien. Mais j'aurai préféré qu'il parle, savoir ce qu'il pense. Son silence me montre juste que j'ai franchi une limite qu'il ne fallait pas franchir.
- Je pense que je vais rentrer chez moi, finalement, lâche t-il à mi-voix.
- Non, attends. Dis-moi au moins ce que j'ai fait de mal.
- Rien. C'est de ma faute. Tu mérites de vivre heureuse, Phoebe. Vraiment. Et je ne veux pas faire de ta vie un enchaînement de peur et de souffrance par ma faute.
- Quoi?! Mais c'est n'importe quoi! il attrape son sac sur la banquette arrière et ouvre la portière. Reviens ici! il ne m'écoute pas et claque la porte sans se retourner. Puis il part dans le sens inverse, pour se diriger sûrement vers un arrêt de bus proche.
C'est sa faute, Phoebe. C'est lui qui est parti, ce n'est pas ta faute. Tout va bien. Dans cinq minutes, il va toquer à la portière et te demander d'ouvrir. Il va s'asseoir, jeter son sac à l'arrière et m'ébouriffer les cheveux.
Sauf que quinze minutes plus tard, rien ne s'est passé. Je suis toujours aussi seule dans l'habitacle de ma voiture, attendant un miracle quelconque. Qui ne vient pas. C'est donc à contre-coeur que je tourne la clé et redémarre, la vitesse plus élevée que celle demandée.
Je ne ressens rien. Je suis juste vide. Comme si la présence du grisé comblait quelque chose en moi et qu'en partant il l'avait arraché d'un coup. Sans prévenir.
Et rien ne s'arrange lorsque, arrivée à mon appartement, sur une place visiteur, je distingue la voiture de sport de mon père. Une voiture tape-à-l'œil, rouge vive, rutilante. Tout ce que je n'aime pas.
J'ouvre la porte de mon appartement, sachant déjà ce que je vais trouver de l'autre côté. Un père tout sauf inquiet, qui vient vérifier que je suis toujours en vie. Et effectivement, quand j'y rentre, mon paternel est assis sur le long sofa noir en cuir et tient dans sa main un verre de vin sûrement trouvé dans ma réserve. J'hausse un sourcil, surprise et presque choquée qu'il prenne ses aises de cette façon. Mais après tout, c'est mon père. Que suis-je censée dire? "Recrache ce que t'es en train de boire"? Non, mauvaise idée. Au contraire, dans ces moments-là, il faut aller dans son sens. Histoire de savoir le plus vite possible ce qu'il veut et qu'il s'en aille. Cette journée a été suffisamment merdique, je n'ai pas besoin de rajouter un père grognon et insatisfait de sa propre fille.
- Qu'est-ce que tu fais là? Et depuis quand tu as les clés?
- Dis merci à ton gentil concierge.
Son ton est si froid que là, maintenant, tout de suite, je veux aller me réfugier sous ma couverture et juste oublier qu'aujourd'hui tout va mal.
- Réponds à ma première question. C'est la plus importante.
Mon père pousse un soupir qui se veut lasse et réprobateur, mais ce n'est qu'une façade. Je le sais. Au fond de lui, il jubile. Et ça me fait peur.
- Rappelle-moi quel âge tu as.
- Vingt-cinq.
- Connais-tu Isaac Hall?
- Non.
- Aucune importance, c'est un député. Son fils, Joshua, a ton âge.
C'est pas vrai. Dites-moi que tout ça n'est qu'un cauchemar.
- Il a repris les rênes de l'entreprise familiale, depuis que son père est au gouvernement. Il est chef d'entreprise. Il gagne vraiment bien.
Non, stop, je ne veux pas qu'il continue. Arrêtez ça de suite.
- Je t'ai organisé un dîner avec lui, tâche d'être présente. Je t'enverrai l'heure et les coordonnées par message dès demain matin.
Il finit d'une traite les dernières gouttes de son breuvages et claque le verre de cristal contre ma table basse. Puis, d'un pas que je qualifierai presque de sautillant, se dirige vers la porte en réajustant la veste de son costume.
Une main sur la poignée, il se retourne de trois-quart vers moi.
- Ne me déçois pas. Tu en as déjà fait assez.
Des mots simples pour n'importe qui, mais il sait que pour moi, ce genre de phrase représente à la fois une source de motivation comme de profond mal-être. Car oui, on ne peut pas être parfait tout le temps. Les parents ont tendance à l'oublier quelques fois.
Je veux sentir les bras du grisé autour de moi. Sentir son odeur d'assouplissant rassurante et sa chaleur réconfortante. Je veux pleurer sur son épaule jusqu'à m'endormir. Je veux qu'il soit là. J'ai besoin de lui.
Mais force m'est d'admettre qu'il est parti, maintenant. Et après tout, n'est-ce pas ma faute? Il a dû voir à quel point être proche de moi pouvait être dur. A quel point je suis une horrible personne. Alors il a juste sorti la première excuse qu'il avait et me l'a lâché, comme une bombe, dans la voiture.
Je pars m'allonger dans mon lit au matelas épais et aux couvertures chaudes, mais si froides sans lui, sans même prendre la peine de manger quelque chose.
Et je reste éveillée.
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Pinky Promise -J.PK
FanfictionC'est assez triste la façon qu'ont certaines personnes de faire des promesses à propos du futur. Parce qu'ils n'ont absolument aucune idée de ce qu'il se passera, dans le futur. Ces personnes disent: "Je t'aimerai pour toujours" "Je serai toujours...