CHAPITRE 6 - PERCEPTION

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Je pense qu'il est temps pour moi de vous raconter ce qu'il s'est passé ce soir-là. Une histoire parmi tant d'autre dans le monde, hélas. Mais, celle-ci est mienne. Je n'ai pas envie de vous émouvoir, ni chagrin, ni compassion, je n'ai jamais été doué pour exprimer mes émotions de toute façon. Inspirez-vous de ces quelques lignes en guise de leçon. Vivez, oui je dis bien vivre. L'illusion est un chemin souvent mortel, j'ai vécu dans l'illusion, ne jamais apprécier ma vie, ne jamais remercier l'univers pour ce qu'il m'a apporté. Vivre reconnaissant, à quoi bon ?

Pensez-vous que nous sommes éternels ? Qu'attendez-vous dans ce cas ? Allez-y ! Respirez à pleins poumons et n'oubliez jamais de remercier la vie pour l'air qu'elle vous offre au quotidien. Aujourd'hui, je peux pardonner à la vie. Elle m'a enlevé ce qui m'était le plus cher, la seule chose qui aurait mérité d'être remercié.

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Tout est arrivé si vite... Lorsque Adrien a emprunté l'un des virages, une biche était stationnée au milieu des voies. Sous l'effet de surprise, un coup de volant et nous avons quitté la route. L'animal s'est enfui la vie sauve, mais nous, qui viendra nous sauver ?

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Les cris des pneus retentissent, la carrosserie se froisse en transperçant les branches des arbres plantés sur la chaussée. J'essaie tant bien que mal de garder mon sang froid, mais je sens que mon corps est ballotté dans tous les sens. Nous fonçons droit dans la glissière de sécurité, nous passons au travers. Les airbags sortirent de leurs cages, nous propulsant contre les sièges. Je sens autours de moi, de la poussière tournoyer, des débris cisailler ma peau. Le choc avait propulsé un nuage épais de fumée dans l'habitacle, se dissipant dans nos inspirations. Nous étions encore dans les airs. Je ne sais pas combien de temps cela durera encore avant de frapper le sol. A cet instant, mes yeux se dirigèrent vers lui. Sa tête se bousculait sur le dossier du siège, ses cheveux cachaient ses yeux sombres et fermés, des gouttes de sang perlaient le long de ses lèvres. Il n'était plus conscient. Quelques instants plus tard, nous avions atterri sur une surface solide et douce à la fois. Nous étions pris au piège, naufragé sur l'étang de Mittbach. Sous la pression, les vitres cédèrent et l'habitacle se remplissait d'eau à vu d'oeil. Les affaires présentes dans la voiture remontèrent à la surface, nous étouffant dans cet environnement bien trop étroit. Je me rappelle n'avoir eu aucun mal à retirer ma ceinture de sécurité, ce qui m'a permis de me dégager rapidement pour m'occuper de Adrien. Le temps était compté. A cet instant, vous ne réalisez pas que sa vie est entre vos mains, vous êtes en pleine écriture d'un chapitre important de sa vie, comment va-il finir ? L'eau dans l'habitacle était teintée d'une couleur un peu rosée, je perdais beaucoup de sang, mais l'adrénaline ne me permettait pas de ressentir cette douleur. Arrivé au-dessus de lui, j'ai pu apercevoir qu'il avait de nombreux bleues, des éraflures, mais rien d'aussi grave que moi. Seulement, à contrario, sa vie était pour l'instant scellée et destinée à couler dans les profondeurs si je n'arrive pas à retirer sa ceinture. Nous étions maintenant immergés sous l'eau, je tire de toute mes forces sur le mécanisme, mais rien n'y fait. Je sens une sorte de rage qui m'empare...doucement... glissant le long de mes veines. Ma vue semble se rétrécir et arbore de nombreuses zones sombres. Je remonte à la surface, il était à peine possible de respirer entre le toit du véhicule et la surface de l'eau. Après avoir prit une bouffée d'oxygène, je me hâte à retourner auprès de lui. J'essaie tant bien que mal de tirer sur la ceinture, mes mains sont lourdes et perdent en intensité. Je sens mes yeux devenir lourds, ma bouche se crispe. Je sens la colère et la tristesse s'emparer de moi. Je m'arrête au niveau de sa tête, ses yeux s'ouvrent légèrement et des bulles s'échappent d'entre ses lèvres. A cet instant, je ne sais pas ce qui s'est passé, je suis devenu fou, peut-être dingue ? J'ai crié de toute mes forces dans l'eau en empoignant cette ceinture. Mon corps bougeait dans tous les sens, la ceinture suivait tant bien que mal cette crise d'hystérie. Je donnais des coups de pieds dans le mécanisme tout en tirant cette ceinture. De nombreuses bulles remontaient à la surface sous les cris de haine qui sortait de mon être. Comment me pardonner, si sa vie s'arrêtait ici à cause de moi ? Voudrais-je le rejoindre ? J'aurais voulu me noyer à sa place, avec lui, sans lui. Toutes ses questions frôlèrent mon esprit et résonnent au plus profond de ma tête, sous les coups, sous les cris, sous ma colère hystérique. Delors, je voyais le restant de mes jours sans lui, et cela malgré mon acharnement sur cette ceinture. Les coups, les cris, les coups, les cris. C'est à cet instant même, ou tout semblait être perdu, que la vie m'a encore fait grâce d'un de ses privilèges, celui de vivre reconnaissant. Le mécanisme venait de céder, réussissant à le détacher je me propulse avec lui hors de l'engin par l'une des fenêtres brisée. La vie venait de me faire son énième grâce, que je n'ai jamais songé à remercier

La rive est proche, j'entends au loin le bruit de la carcasse qui sombre dans les méandres des profondeurs, ça aurait pu être lui...nous. Je tente de nager aussi rapidement que possible, nos deux visages hors de l'eau. Elle est proche, elle se rapproche, elle est proche. Il semble réagir aux remous des vagues, parfois j'ai l'impression qu'il bouge partiellement ses membres. Mon corps s'affaiblit petit à petit, mais je n'ai pas le droit d'abandonner, pas après tout ça.

Arrivés au rivage, j'empoigne son corps et le tire hors de l'eau. J'avais l'impression d'avoir un cadavre dans les mains. Je m'empresse de chercher un pouls, que je trouve rapidement. Comment s'y prendre ? Je n'ai jamais vécu une situation de la sorte. Je lui prodigue un massage cardiaque tout en basculant sa tête sur le côté pour dégager l'eau obstruée à l'intérieur des cavités. Je commence à perdre patience, combien de temps cela va-t-il durer ? Va-t-il mourir ? Les larmes envahissent mes yeux, s'écrasent peu de temps après sur ses paupières fermées. J'ai envie de m'arracher les cheveux, je sens qu'une nouvelle crise approche. Mes yeux se plissent, ma gorge est nouée. Sous un excès de colère je me jette à côté de lui, frappant le sol, hurlant de toute mes forces. Mes mains creusent la surface. Que cherche-je à faire, préparer sa tombe ? Je perds totalement le contrôle, ma vision se rétrécit, tout est devenu flou et inaudible autour de moi. Seul face à ce qu'il reste de lui, son cadavre. Je m'effondre à même la terre, fixant les cendres qu'il laissera derrière lui. Les mains dans les cheveux et je bascule sur moi-même. Pourquoi tout est si compliqué ?

Quelques secondes, quelques minutes, peut-être quelques heures suffirent avant que l'espoir naît. Plusieurs sons, des mouvements dessinent la silhouette gisant sur le sol. Ses paupières bougent, des petits gémissements à peine audibles. Je me précipite auprès de lui. Ses yeux roulent dans ses orbites, juste avant d'ouvrir son regard vers l'horizon, vers moi. La vie venait de m'offrir un sursis, que j'oublierais de remercier plus tard.

Adrien avait regagné ses esprits, nous avons remonté le ravin, jusqu'a la chaussée ou mon corps m'avait abandonné d'épuisement. Je suis allongé sur le contre-bas de la chaussée. Il m'avait laissé là, me promettant qu'il trouverait du secours, j'espère qu'il s'est dirigé vers la maison de Clara. L'odeur des pneus flottait dans l'air, la glissière éventrée du choc semblait vouloir se venger. Mon esprit était confus, quelques notes reviennent à mon oreille, mais la suite vous la connaissez déjà, je me suis assoupi sur le sol. 

Un jour, tu sauras comment me pardonnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant