us. [EN PAUSE]

28. fate

Une journée de merde pour une fille qui n'a absolument pas demandé à revoir le gars qui l'a défloré il y a un an. Aujourd'hui, j'ai décidé de rentrer toute seule et ça m'a fait du bien de marcher la nuit avec la brise d'automne qui me caressait le visage. En rentrant à l'appart, je passe indifférente devant Sam et James qui sirotent une bière devant un match de basket.

- Tu te joins à nous Shayna ? me demande gentiment Sam tandis que James ne m'adresse même pas un regard.

- Non, merci. J'ai des choses à faire de toutes les façons, répondis-je timidement – menteuse.

- Ok, bon bah, on t'appellera quand on se mettra à table, continue Sam.

En guise de seule réponse, je lui fais un mince et bref sourire. J'hâte le pas pour m'enfermer dans ma chambre et trouver la force de ne plus penser à eux.

Depuis que j'ai revu Brandon, mes pensées sont chamboulées, complètement chamboulées. Son retour dans ma vie vient encore plus perturber mon esprit. Je ne voulais pas le revoir, je ne voulais pas le revoir, je ne voulais pas du tout le revoir.

Il commence à se faire très tard et le temps dehors se fait un peu plus frais mais ce n'est rien comparé à l'atmosphère glaciale de la coloc. La fenêtre ouverte, je respire l'air automnal qui tombe du ciel et qui paradoxalement me réchauffe le coeur. Depuis la fête de Brandon, James ne m'adresse absolument pas la parole et Sam a visiblement abandonné de continuer à quémander mon amitié. Concrètement, nos relations sont strictement cordiales, rien de plus, même si au fond de moi je veux qu'il y ait plus entre nous. Nous. N-O-U-S. J'ai l'impression que ce mot nous relie indirectement tous les trois. La preuve quand je pense à eux, nous est le premier mot qui me vient à l'esprit. Ces quatre pauvres lettres permettent à elles toutes seules d'unir l'impossible. Oui, l'impossible, car envisager une quelconque relation entre James, Sam est moi est impossible. Je ne peux pas aimer deux hommes à la fois et deux hommes ne peuvent pas aimer la même femme, enfin je crois...

Allongée sur mon lit avec mon seul ami, mon téléphone, je fais des recherches sur ce que je ressens pour Sam et James ou James et Sam, enfin peu importe. Je suis tombée sur des termes comme poly-amour, polygamie, polyséxualité, panséxualité ou encore infidélité. Je ferme la fenêtre et soupire de douleur. Aïe, c'est mon dos qui me fait souffrir. Ma tête me fait déjà mal et il a fallu que mon corps s'y mette aussi.

Qu'est-ce que je veux au final ? Est-ce que je veux leur dévoiler ce que je ressens ou est-ce que je veux me voiler la face toute la vie ? Qu'est-ce qui se passerait si je ne tente rien avec eux ? Est-ce que je passerai à côté de l'amour de ma vie, des amours de ma vie ? Est-ce que je préfère regretter une chose que je n'aurais jamais faite ou regretter une chose que j'aurais faite ? Est-ce que « nous » verra le jour ? Je n'ai pas la réponse à toutes ces questions mais ce que je sais c'est que le torrent de sentiments que j'ai ressenti quand j'ai embrassé Sam et James dépassait tout ce que l'être humain peut ressentir. C'était comme... C'était indescriptible mais c'est une chose que je veux absolument revivre parce que j'en ai besoin.

J'en ai marre de réfléchir et de penser à eux, à nous. Parfois, je me dis qu'ils sont peut-être mes âmes soeurs et qu'à eux deux, ils formeraient l'homme parfait pour moi. C'est de la pure folie.

- Tu viens manger Shayna ? crie Sam depuis le salon mettant fin à ma rêverie.

- Oui, j'arrive.

Je sors de ma chambre, nerveuse. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs, peut-être parce que je ne suis pas encore sortie de ma folie. Je marche le long du couloir d'un pas lent et lascif jusqu'au salon. Être seule avec « ceux que j'aime » me rend de plus en plus mal à l'aise. Je pense que ce ne sera qu'une passade, enfin je veux dire, je vis avec deux beaux mecs, il est donc normal qu'ils me plaisent bien. Mais là encore, je sais que je me mens à moi-même. Je veux m'assurer d'être « normal » c'est-à-dire de ne pas aimer deux garçons à la fois.

- Assieds-toi là Shayna, commence Sam en me désignant la chaise entre James et lui.

- Non, non, je préfère m'asseoir en face de vous, dis-je en positionnant le tabouret en face d'eux. Bon appétit.

Ils me disent tous les deux « merci » et nous commençons à manger en silence. L'atmosphère est insoutenable pour moi. Aurais-je le courage de leur dire ce que j'ai sur le coeur ? Et s'ils n'ont pas les mêmes sentiments pour moi ? Et si James ne m'aimait pas ? Et si Sam ne m'aimait plus ? Je continue à manger en silence sans pouvoir articuler un seul mot. En face d'eux, mes yeux les dévorent discrètement et je pense qu'ils ne se lasseront jamais de le faire. Pendant encore combien de temps est-ce que je vais tenir ? Pendant encore combien de temps je vais me taire sur la nature des sentiments que j'éprouve pour eux ?

J'ai vraiment envie de me débarrasser de ce poids qui hante mon esprit jour et nuit. Quelque chose me dit qu'une occasion comme celle-çi ne se représentera pas. J'ai l'opportunité de leur dire ce que j'ai sur le coeur et c'est maintenant ou jamais. Même si j'ai peur de leur réaction, même si j'ai peur qu'ils me détestent, même si j'ai peur qu'ils me rejettent, je n'aurais jamais à le regretter. Je vois ça comme un sacrifice, un sacrifice amoureux et naïf. Je me mets en « danger » pour ceux que j'aime. N'est-ce pas une belle preuve d'amour au final ? Je lâche bruyamment mes couverts pour attirer leur attention et soutiens courageusement leurs regards, les beaux regards de Sam et James. L'un doux et pétillant; l'autre froid et perçant.

- Je dois vous dire quelque chose, quelque chose de très important, commençais-je les larmes aux yeux et le souffle court. Après ce que je vais vous dire, vous allez probablement vouloir m'éviter ou me rayer de la liste de vos amis, enfin, si j'en fais partie. Vivre avec vous, c'est vraiment super mais j'en peux plus, je craque. Je suis arrivée à un point de non-retour et je me dois de vous dire ce que je ressens. Prenez-moi pour une folle, ça m'est égal mais je tiens vraiment à tout vous dire. Ça fait un peu plus d'un moins que je vis avec vous et que j'ai déjà pleins de tourments. Bien sûr, c'est pas à cause de vous, c'est moi le problème, je deviens folle mais pour une raison bien précise. Sam, James, ne me détestez pas pour ce que je vais vous dire. Restons au moins amis et si vous vous sentez trop mal à l'aise, je partirais. Je suis sûre que vous voulez savoir de quoi je suis en train de parler alors je vais vous le dire. Je vous aime, tous les deux. Oui, vous avez bien entendu, j'ai le béguin pour vous deux. Ça peut paraître fou et c'est fou mais je suis littéralement folle de vous deux. J'osais pas le dire par peur du rejet mais j'aurais été déçue de n'avoir rien tenté. Sam, tu as toujours été gentil et doux avec moi et je pense que c'est pour ça que je n'arrivais pas à réprimer mes sentiments pour toi. La manière dont tu te soucies de moi me fait sourire et me rend heureuse. Quant à James, j'avais toutes les raisons pour te détester. Tu es froid, pas du tout intéressé par moi et parfois cruel mais le jour où je t'ai embrassé j'ai su que j'avais des sentiments pour toi. Tous les deux, vous êtes trop bien pour moi mais grâce à vous j'ai pu oublier les messages que ce ou cette malade m'envoie. Merci pour ce que vous faites pour moi et je sais que mon amour pour vous n'aboutira à rien. Pendant une seconde, j'ai réellement pensé que ça pouvait marcher, que tous les trois on pouvait s'aimer. Enfin, que tous les deux vous puissiez m'aimer et que moi je puisse vous aimer en retour. J'ai l'impression qu'il y a comme un lien secret qui nous unit, un lien qui ne révèle pas du hasard. Je commence à croire que ça fait parti de mon destin d'être amoureuse de vous deux. Au moins, je vous ai tout dit.

Après ma longue prise de parole, je débarrasse rapidement mon assiette et pars m'enfermer dans ma chambre. En faisant ça, j'essaie de retrouver un peu de ma dignité. J'arrive pas à croire que je viens d'avouer à Sam et James que je les aimais, c'est de la pure folie, de la pure folie mais c'était mon destin.