La vérité peut languir mais non périr

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Chapitre 1
Le disque tourne en boucle. Tout doucement, une image, un souvenir remontent à la surface, une infinie de nostalgie qui envahit à la fois mon esprit mais chacun de mes membres et de mes sens.  Mon cœur s’emballe en  repensant à la joie de mon enfance,  à mes amis et ma famille. Je ferme les  yeux et soudain la belle Irlande avec ses routes étroites, bordées de haies touffues, de talus où fleurissent l’ail sauvage, les rhododendrons, les fuchsias plantés comme un décor de cinéma juste devant moi. Je peux presque les toucher du bout des doigts tant cette image parait réelle. Je sens jusqu’à l’odeur de ces plantes. Cette odeur de la nature, de l’herbe fraîchement coupée, de cette Irlande où repose toute mon enfance. Le mot qui accompagne le disque que j’ai reçu par la poste dit ceci : « Ma chère Abbie, j’espère que ce CD te donnera l’envie de venir me voir cet été à Wicklow. Tu me manques, cela va faire 10 ans que je ne t’ai pas vue, je n’ose imaginer quelle belle jeune femme tu es devenue, du haut de tes 21 ans. Je t’embrasse tendrement. Ton oncle, Anntoin. » 

C’est certain l’Irlande me manque, et surtout Oncle Anntoin, depuis mes 11 ans que je ne l’ai pas revue !  Depuis la mort de maman, depuis notre départ d’Irlande pour le Royaume-Uni. Un frisson me parcourt. A  vrai dire, je ne comprends pas la décision de mon père. Ce passage de ma vie est flou, comme si mon inconscient voulait délibérément me faire oublier ces souvenirs trop durs à supporter pour une petite fille de 11 ans. Je ne comprends pas pourquoi depuis cette époque les relations entre oncle Anntoin et papa, se sont refroidies, ternies. Jamais papa n’a voulu m’expliquer quoi que ce soit, mais cette année ce sera différent, je veux retourner à Wicklow, et il ne m’en empêchera pas, je suis décidée. 

- Abbie ! 

La voix de mon père depuis le bas de l’escalier me tire de mes rêveries. 

- Oui ? 

-  Descends j’ai besoin d’aide s’il te plaît ! 

Je descends les marches de notre petite maison de Manchester. Ces escaliers grincent toujours autant. Le décor  de  cette maison n’a rien à voir  avec nos goûts personnels, elle est tout  bonnement simple et fonctionnelle et nous évoluons dans un décor aussi terne que l’est notre cœur.  Mon père est caché derrière plusieurs cartons qu’il porte, sur le point de dégringoler.

Le premier en haut de la pile tombe soudainement se vidant au sol. Je m’approche en riant pour tout ramasser. En m’agenouillant, je découvre une photo, c’est ma mère posant fièrement à côté du cottage familial à Wicklow. Cette photo est vraiment très belle. L’irlandaise dans toute sa splendeur, une vraie, avec ses cheveux flamboyants autour de son cou. Ses yeux pétillent de bonheur et de malice, elle doit être âgée de 16 ans sur ce cliché. Le cottage quand à lui est égal à lui-même, enfin surtout le même que dans mes souvenirs. Imposant, entouré de vert, de prés, de chèvres et brebis, il possède des murs de pierres très épais ; sur un pan de la maison,  il y a du lierre sur  toute la façade,  les contours des fenêtres et des portes d’un rouge bordeaux foncé ajoute au charme de la bâtisse.  Cette photo intensifie mon désir de retourner là où elle a passé toute sa vie. Mon père pose les cartons et s’agenouille à côté de moi.

Sans m’en rendre compte, j’ai passé plus  d’une minute à incruster chaque  pixel de cette  photo à chaque  atome de ma peau, ce souvenir est bien plus qu’un souvenir, c’est une partie de mon ADN, de ma  personne intérieure. L’Irlande n’est  pas juste un endroit où j’ai vécu, c’est chez moi, c’est une partie de moi, elle représente tout ce qu’il me reste  de ma mère. 
 
- Vous vous ressemblez beaucoup toutes les deux. 

La voix douce de mon père me fait sourire, mais je suis trop concentrée à la dévisager et à imprégner ce paysage pittoresque dans mon cœur.
 
- Prends-là, ce serait mieux que tu l’aies plutôt qu’elle reste dans ce carton, j’en ai plein d’autres dans mon album.
 
Je me tourne face à mon père toujours agenouillés devant la photo, l’un à côté de l’autre.

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