Deux parents - Deux enfants sourds comme des pots

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Allier, 1937. Robert est la coqueluche de ces dames. Peintre décorateur la semaine, accordéoniste le week-end, le musicien fait rêver les filles des villages alentour. Il trimballe son instrument dans toute la région. La vie est douce et joyeuse. Ce soir, il joue à Saint-Priest pour une noce. Les filles se pressent pour le regarder. En voilà une qui lui semble très jolie avec ses grands yeux verts et son air si timide dans sa petite robe à fleurs. Il entame une java. Il soutient son regard. Un sourire en coin. Elle s'appelle Alice, elle est fille de métayers dans la ferme d'à côté.
Mariage. Une semaine après, Alice est enceinte, Le jeune couple s'installe chez les parents de Robert. Alice ne travaille pas, elle sera femme au foyer. Lui continue ses chantiers, les bals un peu moins. La guerre s'éternise. Les hommes se font tuer et les femmes n'ont pas le cœur à danser.

Octobre 1941. Alice met au monde une fille, Josette.

Rieur, éveillé, le bébé est parfois distrait. Trop. La fillette ne réagit pas toujours au bruit. Elle est dans son monde à elle. Petit à petit, l'angoisse étreint Alice. Quelques chose ne vas pas, là. Alice frappe dans ses mains, sur les meubles. Vingt fois par jour. Une fois sur deux, Josette bondit.
La porte claque. Josette sursaute. Ouf ! Tout va bien...
Un jour, Josette, avec un bâton, accroche les pots en faïences posés sur l'étagère. Vacarme épouvantable. Alice se précipite. Imperturbable, Josette ne s'est rendu compte de rien.
Dix mois. Dix mois pour se rendre à l'évidence.
La petite ne réagit qu'aux bruits accompagnés d'un mouvement perceptible ou d'une vibration.
Il lui suffit de détecter une ombre ou un déplacement d'un air pour se retourner, vive comme l'éclair.
Belle illusion.
   Josette est sourde.
   Sourde et muette.
   À 100%.

Juin 1944. Un second enfant naît: Guy.
L'expérience ayant déjà été vécue, le verdict tome cette fois au bout de quelques semaines.
Implacable.
   Sourd, lui aussi. Comme un pot.

Robert et Alice sont anéantis.
Pourquoi ça leur tombe dessus ? Pourquoi eux ?
Deux handicapés. Leurs enfants sont deux handicapés. Y en a pas dans la famille, pourtant.
Qu'ont-ils fait au Bon Dieu pour mériter ça ?

Guy, contrairement à sa sœur, ne cherche pas à parler, il ne cherche pas à communiquer.
Il regarde, il observe. Et il dessine. La craie est devenue l'extension naturelle de sa main. Pas besoins de mots ou de lettres come intermédiaires. Sa tête, sa main, sa craie, le tableau. Le dessin.
   Et les dessins qu'il fait ne ressemblent en rien à ceux des enfants de son âge. Pas de fioritures.
Le croquis est précis et direct. Maladroit, certes, Guy n'a que trois ans, mais il reflète exactement ce qu'il cherche à exprimer.
   Le petit garçon peut passer des heures à contempler une goutte d'eau se former, grossir et tomber du robinet.
   Sa sœur et lui sont deux enfants agréables mais avec leurs parents, la communication est difficile.
Il faut être face à eux pour pouvoir leur parler.
S'ils tournent le dis ou sont dans la pièce d'à côté, il faut aller les chercher. Il faut trouver le moyen de se faire comprendre. Un mélange de mime (quand c'est possible) et de mots. Les plus simples, articulés à outrance.
   Robert est effondré. Il voulait se marier et avoir plusieurs enfants. Il voulait qu'ils fassent de grandes études. Lui n'avait que le certificat.
   Il voulait qu'ils soient musiciens.        Comme lui.
   Ironie du sort.

   Josette ça avoir six ans. Ils l'inscrivent dans un pensionnat, le temps pour eux de s'installer dans la capitale.

   Mon dieu, la pension !
   Des petits sourds qui poussent des cris d'animaux.
   Des mongoliens.
   Des handicapés mentaux.
   Des bonnes sœurs méchantes qui les mettent aux placard pour un oui, pour un non.
   L'enfer sur terre !
   Josette n'y reste pas longtemps. Quelques semaines, tout au plus. Robert et Alice trouvent un appartement, s'installe à Paris, inscrivent les deux enfants à l'institut national des jeunes sourds. Une nouvelle vie commence. Dans la capitale, le regard des autres ets moins féroce. Alice et Robert pourront se fondre dans la masse et peut-être offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Un avenir où on les considérera pas comme des attardés mentaux.
   Robert trouve du travail comme plâtrier.
L'accordéon l'a suivi à Paris, mais la page de la musique et de la gloire est tournée. Il le sait. Né pour la musique, oreille absolue, deux enfants Sourds. Un comble. Une sale blague de la vie.
Pour un peu, il en tirait.
   Alice, elle, a le sens du sacrifice. Ça le sauve.
Elle porte sa croix à travers Paris, tous les matins et tous les soirs. Des kilomètres à pied ou en bus pour emmener ses petits à l'école, la seule école spécialisée, celle de la rue Saint-Jacques. El malgré ce qu'elle endure, elle sourit.
   Josette grandit. Ele devient une belle plante.
Épanouie, entourée d'amis - tous Sourds - rencontrés pendant sa scolarité. Son père la surprotège.
Il est temps pour elle de trouver un fiancé.
   Ça tombe bien, un grand bal est organisé à Gambetta. Elle s'y rend avec son copain Astrat. Il veut lui présenter un ami.

Les mots qu'on ne me dit pas [En Cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant