Les mots qu'on ne me dit pas [En Cours]

Au foyer des sourds

   Ce soir, je vais au bal.
   Le foyer des sourds a été transformé pour l'occasion en dance floor. Derrière la piste, un orchestre et des musiciens embauchés pour jouer devant les gens qui ne les entendent même pas.
   Et pourtant, ils enchaînent en souriant tango, salsa, rock, java. Quelle énergie ! Quelle emphatie ! Quelle philanthropie !
   Au pied de l'orchestre, un petit panneau indique la musique à danser. Là, c'est "Tango" qui est affiché. Ma mère empoigne mon père et se lance dans un corps à corps endiablé.
   Puis les couples s'enlacent. Normal, sur le carton est inscrit "Slow".
Et si j'inversais les panneaux ?

   Je m'en farçis, des soirées avec les sourds.
Tout les week-ends. Mes parents m'emmène partout. Et le samedi soir, c'est la réunion au Foyer des sourds pour se voir, discuter, boire un coup.
Bref, passer une bonne soirée. Enfin, pour eux. Parce que moi je trouve ça pénible. Une forêt de jambes à travers laquelle je parviens tant bien que mal à me faufiler. Tête en l'air cependant pour les regarder parler. Je ne comprends pas la moitié de ce qu'ils disent. Ça signe de partout, des mains qui gesticulent, des bras qui partent dans tous les sens. C'est assez beau d'ailleurs. Des rires bizarres. Des onomatopées. Des grognements. Des râles. Parfois un mot. Incompréhensible.
   Je me demande ce que je fais là.
   De temps à autre, mon père me porte dans ses bras. On m'embrasse, on me touche les cheveux, on me pince la joue. J'aime pas. On s'exprime d'u'e drôle de façon. Ça, j'ai l'habitude. Ceux qui ne me connaissent pas demandent à mon père si je suis sourde.
   Non. Je ne le suis pas. J'entends, je parle et je veux rentrer chez moi.