La vie quotidienne avec mes parents

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Au restaurant, comme tous les enfants en bas âge, je ne tiens pas en place. J'adore me lever et faire le tour des tables. Parler aux gens. Je n'arrête pas.
" Tu manges quoi ? Et c'est bon ? Moi, je suis avec mes parents, à la table là-bas. Ils sont sourds."

Je suis tellement fière. Je le dis à tout le monde.
Ma mère, une fois de plus, vient me chercher.
Elle articule un : " Excuse-moi " déformé. Je la coupe illico en langue des signes pour montrer que je sais parler les deux langues. Je n'aime pas trop quand elle essaie de faire comme nous.
Je crâne. Je fais la maline. Je ne peux pas m'en empêcher.
Je décide que ma différence sera un atout.

Il arrive malgré tout que cette différence me gêne. Dans le bus, parfois, ma mère a des gaz.

Extrêmement sonores. Elle ne se rend pas compte du bruit qu'elle produit. Moi, si. Et les autres aussi.

   Dans la rue, c'est pénible.
   Les regards insistants me dérangent.
   Ma mère le sait. Elle fait son possible pour rester discrète. Elle évite de trop me parler.

   À la boulangerie, elle demande une baguette.
"Je n'ai pas compris. Vous voulez quoi, madame
- Paquette, un"
Regard affolé de la vendeuse.
Il est temps pour moi de voler au secours de ma mère.
" Une baguette, s'il vous plaît.
- Ah ! bien sûr, pardon."
En sortant, je jette un regard noir à cette stupide commise.
   Ma mère, habituée, sourit.

   Il arrive aussi que ma mère en ai marre que l'on me sollicite pour traduire ce qu'elle dit. Dans ces cas-là elle se fâche:
" Arrête demander à ma fille. Pain. Je veux pain. Pas compliqué !"
Je suis un peu gênée mais ma mère a raison. Les gens sont trop cons et le regard qu'ils portent sur mes parents m'exaspère.

   Ce sont les autres qui regardent mes parents comme s'ils étaient débiles.
   Ce sont les autres qui pensent qu'avoir des parents sourds, c'est dramatique.
   Pas moi.
   Pour moi, c'est pas grave, c'est normal, c'est ma vie.

   Dans le métro, c'est terrible aussi.
   Mes parents m'emmènent au zoo de Vincennes.
Ils discutent entre eux. Tout le monde les regarde. Quand les portes se ferment, les gens se retournent sur le quai pour les observer. D'autres pouffent derrière leurs mains. D'autres encore font semblant de ne rien voir. Je suis atrocement embarrassé et en même temps je ne supporte pas qu'on les dévisage comme des bêtes curieuses. Je prends sur moi. Je reste stoïque. Je serre bravement la main de mon père tout en faisant mine de ne rien avoir remarqué.
   Après quelques stations, la fureur monte.
J'explose:
   "Quoi ? Vous regardez quoi, là ? Ils sont sourds, ça vous dérange ?"
   Silence. Le wagon entier regarde ses pieds. Mes parents ont compris. Ils me disent de me calmer, que c'est "toujours comme ça", que ce n'est pas grave.

   Je me souviens de mon chagrin.
   Je me souviens de ma colère.
   Je le souviens de ma violence.
   J'ai envie de tuer.
   Je veux tellement les protéger.

   J'oscille entre fierté, honte et colère.
   À longueur de temps.

Les mots qu'on ne me dit pas [En Cours]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant