chapitre 9: Kéresse

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[Un peu plus tôt]

L'ombre se glisse doucement dans le bureau de l'inspectrice O'Hara pour se  poster dans l'angle mort de la pièce. Là, elle peut observer sans que sa présence ne soit détectée.

Son regard ne quitte pas un seul instant sa proie. Elle analyse sa personnalité et guette ses failles afin de les utiliser à son avantage quand le moment viendra.

Elle observe, sonde l'âme qui se trouve en face d'elle. L'ombre sent déjà son goût exquis sur sa langue. Le goût de la colère se rapprochant de la cerise, le goût de la déception rappelant l'ananas, le goût de la peur aux arômes de pomme verte et surtout, le goût du désespoir au parfum d'anis, son préféré.

Mais d'abord, l'ombre doit faire disparaître le protecteur de cette âme succulente. Caliel, l'ange de la justice et de la vérité. Un adversaire redoutable, elle en a conscience mais qu'elle connait bien. 

Elle se concentre à nouveau sur Simone. L'observation de ses émotions est cruciale pour sa capture et c'est un vrai jeu d'enfant, la belle est tellement expressive. La trahison creuse une profonde ride entre ses yeux d'un vert envoûtant, la colère déforme sa bouche pulpeuse et d'un tendre rose, la rage crispe sa mâchoire, ce qui a pour effet d'accentuer la forme carrée de son visage et son petit nez à la grec se retrousse sous le mépris que lui inspire son mari. 

Simone retient ses cheveux bruns, qu'elle porte jusqu'aux épaules, de ses deux mains tout en se tournant vers l'ange. Son excitation dépose une saveur de caramel sous les narines de l'ombre :

- Caliel, regarde ce petit traître qui va être pris la main dans le sac. Ils vont voir qu'il a effacé des messages récemment et trouver le numéro d'E.W et remonter à la source et je serai là quand il va devoir avouer ce qu'il a orchestré et ... Caliel ... Tu m'écoutes ? 

Caliel a le regard braqué sur l'ombre. Elle le voit froncer les sourcils. Elle a été repérée beaucoup trop tôt à son goût et décide de s'éclipser avant de risquer de se faire attraper. 

Elle longe le mur où elle s'est installée et rejoint la porte qu'elle traverse sans un bruit. Un peu plus loin, l'ombre reprend forme: une créature au long cheveux noirs ébène, au visage fin et anguleux serti de deux yeux rouges démoniaques et au sourire vorace apparaît. Son corps long et fin se met déjà en mouvement, elle est prête a exécuter la première étape de son plan : se rapprocher de l'âme. 

Elle s'avance vers l'organigramme du commissariat. Elle lève délicatement sa main et pointe le nom du second de l'inspectrice O'Hara de son long doigt à l'ongle acéré. 

- Kéresse, Je savais que c'était toi ! Je reconnaîtrais ton odeur pestilentielle n'importe où. 

L'ombre se fige, un sourire élargit sa bouche charnue.

- Caliel, mon ange, dit-elle en se retournant face à lui, quelle charmante rencontre, fortuite, j'ai envie de dire. 

- Fortuite ? Je ne crois pas. Bas les pattes, l'âme de Simone est à moi. J'en ai besoin ! 

- Tu espères peut-être que ton mentor te reprendra sous son aile une fois cette âme en poche ? Sa voix est cristalline et moqueuse. Ne rêve pas Caliel, on sait tous que tu ne retrouveras jamais ton statut passé. La faute que tu as commise est beaucoup trop grave pour qu'ils puissent te pardonner.

- Simone sera la 500e âme que je délivre de l'errance éternelle. Elle est ma porte de salut et je ne te laisserai pas la manger Kéresse. Peu importe la proposition que tu as à lui faire, je serai là pour contrecarrer tes plans !

- Mon beau Caliel, ce n'est pas sans raison que tes cheveux autrefois blancs sont devenus noir-charbon. N'as-tu pas remarqué la teinte de ton costume ? Elle s'esclaffe d'un rire méprisant.

Caliel baisse le regard sur son vêtement sombre. Il fût un temps où il était d'un blanc immaculé et faisait sa fierté et, surtout, sa renommée.

- Mon pauvre chéri, tu t'es assombri. Tu ne seras plus jamais qui tu étais ! Imprime ça dans ton crâne, passe à autre chose, dit-elle en s'approchant de lui. Trouve-toi un nouvel hobby, comme par exemple : manger des âmes et engraisser les profondeurs de la terre, tourmenter les vivants et les rendre fous ... Glisser des idées de meurtres à des êtres faibles et manipulables.
Sa voix prit un ton de conspiration...

- Caliel, rejoins moi. Rejoins nous, sourit-elle. Je prendrai soin de toi. Sa main glisse le long de la joue de Caliel. 

D'un geste brusque, il se saisit de cette main crochue et la repousse loin de lui.
- Devenir comme vous ? Et prendre le risque de fouetter du gosier éternellement ? Désolé mais c'est inenvisageable. Je préfère chercher des poux sur la tête de Méduse.
- Ce n'est qu'une question de temps, Caliel, avant que tu rejoignes notre petite bande mais, je ne suis pas contre une petite rixe en attendant ce grand événement ! 

Kéresse recule doucement vers la fenêtre la plus proche. Caliel met un pied en avant, prêt à commencer le combat quand la voix de l'inspectrice résonne dans le couloir:
-  Nous le ferons, monsieur Hardhell.

Ils voient Antoine sortant du bureau et se diriger vers les ascenseurs situés à l'opposé de leur position. 

Dans un mouvement gracieux des bras, un sourire diabolique sur le faciès, elle redevient l'ombre et s'enfuit du commissariat.

Caliel observe les ondulations sombres que l'ombre de Kéresse projette sur la façade des immeubles jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement. 

- Je sens que ça va pas être une partie de plaisir...

Et Caliel s'évapore à son tour. 

Tout est possible quand on est mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant