Chapitre 11 : La boulette

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J'arpente les couloirs mal éclairés de chez Fatalités depuis, ce qui me semble être des heures. On est en début d'après-midi et je n'ai encore croisé personne. On est vendredi pourtant, j'en suis certaine. J'ai même été vérifier sur le calendrier de la salle de repos. 

Je n'ai pas encore osé me rendre dans la salle des archives. Je n'ai aucune envie de revoir mon corps ensanglanté et d'être, encore, confrontée à cette triste réalité. 

Je marche de long en large dans la salle de repos en réfléchissant à un plan. Je me remémore la soirée de la veille afin d'y déceler un petit indice. BINGO ! Manon Steel et un homme ont pénétré dans mon bureau, hier soir, afin de me faire tomber dans un piège. 

Je me condense dans le bureau que j'occupais, il y a encore quelques heures. Je suis surprise de voir Caliel assis dans mon fauteuil à feuilleter un des nombreux manuscrits abandonnés sur mon bureau. 

- Il a un talent fou ce Mr. X, me dit-il en haussant un sourcil. 

- Oui, peut-être, dis-je distraitement en prenant place derrière l'ordinateur. Pousse-toi un peu Caliel, j'ai besoin de vérifier certaines choses. 

- Mais c'est toutefois étrange, continue-t-il tout en me laissant m'installer sur la chaise. Il change radicalement son style d'écriture vers la fin ... Ne trouves-tu pas ça étrange ? 

- Han han, fis-je.

Je dois fournir énormément d'efforts et me concentrer pour arriver à attraper la souris et la déplacer là où je le souhaite.

- C'est marrant ta façon de sortir la langue quand tu te concentres.

-Hein ? Désolée, tu me parlais ? 

- Du tout ! 

Je l'entends marmonner au loin:

- C'est bizarre mais j'ai l'impression qu'il a réalisé un quatre mains. La fin n'est pas du tout du même style que le début ...  mais il n'y a pas d'autres noms avec le sien... Et encore, Mr. X, c'est un pseudo pas un nom.

- Ça  y est ! J'ai trouvé ! Je crie:  victoire et satisfaction !

En quelques manipulations précises, je replace les dossiers à leur place initiale. Manon Steel et son acolyte sont vraiment des idiots, ce n'est pas moi qui aurais eu des problèmes mais la maison d'édition toute entière. La décrédibiliser ne servirait qu'à les conduire directement au chômage. Enfin, le mal est réparé. 

Je suis prête à refermer les onglets ouverts quand le nom d'un dossier attire mon œil. 

"Vidéo SH - séquence du 31 mai 2020" 

Ma curiosité est la plus forte, je lance la vidéo: 

Fond noir, je vois dans le bas de la vidéo qu'il est 7 heures du matin. Je fais avancer la vidéo rapidement jusqu'à ce que la vidéo indique 8 h 15. La lumière s'allume et je me vois entrer dans mon bureau, poser ma veste sur le dossier de ma chaise avant de m'y asseoir et de lancer ma session, tout en écoutant les messages de mon téléphone professionnel avec mes écouteurs. Je prends consciencieusement des notes sur des post-it jaunes. 

Je me lève, environ 1 heure après mon arrivée et reviens 5 minutes plus tard avec une tasse de café fumante. Sur le coup de 11 heures, mon travail est interrompu par Edgar Wallace, mon patron, me demandant d'aller déjeuner avec Mr. X. 

Je quitte mon bureau vers 12h20, en fermant ma session. 

Vers 14 heures, Manon Steel s'assied sur ma chaise et commence à chipoter sur mon ordinateur, elle fouille dans mes tiroirs, déplace certains éléments: comme un stylo, un dictionnaire. Change les signets que j'intercale dans les manuscrits afin de pouvoir me situer plus facilement et, chose ignoble, crache dans ma tasse de café (vide). 

14 h 20, elle s'en va et je reviens vers 15h30. Je me vois prendre une bouteille d'eau et en verser dans la tasse à café. Je la porte, ensuite, à mes lèvres et je bois d'une traite tout ce qu'elle contient ... 

- Pouah, dégueulasse ! La voix de Caliel me fait sursauter.

J'ai déjà le cœur au bord des lèvres, un peu plus et je vomis. Est-ce que ça peut vomir un fantôme ? Je me rappelle vaguement cette scène où les trois horribles oncles de Casper vomissent sur la face du Docteur Harvey. Je suis prête à poser la question à Caliel quand, dans la vidéo, la lumière s'éteint. 

Je suis donc rentrée chez moi. J'accélère à nouveau la vidéo jusqu'à ce que la lumière se rallume. Il est 21h15, Manon Steel et Pierre Lemaire, l'informaticien, prennent place devant le PC et préparent leur plan à la con.

21h45, ils partent en éteignant la lumière. 

22h43, la lumière d'un portable éclaire l'écran de l'ordinateur. Une ombre déplace plusieurs documents se trouvant sur mon bureau, elle retourne mes tiroirs... elle cherche quelque chose c'est certain ! Au moment où elle va allumer mon ordinateur, elle relève brusquement la tête et s'en va rapidement. La vidéo se coupe au alentour de minuit. 

- Waouh ! Alors ça ! Je parie que tu te poses encore plus de questions. 

- Mais qu'est-ce que c'est que ce truc de fou ?! 

- On dirait qu'elle cherche quelque chose ...

- Et dans sa précipitation pour partir, elle n'a pas trouvé ce qu'elle cherchait ... Elle ou il va sûrement revenir ! 

Je suis toute excitée, je n'ai plus qu'à attendre ici pour découvrir qui se cache derrière tout ça. 

J'entends des pas dans le couloir se rapprochant, petit à petit, de mon bureau. C'est peut être lui (ou elle) qui revient ... 

 Ce n'est que l'informaticien, tout en rondeurs, qui a aider Steel à me saboter. Il se précipite vers l'ordinateur, ouvre ma session et ...

- C'est quoi ce bordel ?! 

Curieuse, je m'approche de lui pour regarder par dessus son épaule. Il est tombé sur la vidéo. Il la visionne en vitesse jusqu'à ce qu'il tombe sur Manon et lui. 

- Oh merde ! Fait chier ! 

Je vois des gouttes de sueur qui commencent à perler sur le dessus de ses lèvres. D'un geste peu ragoûtant, il lèche ses fluides salés et se déchaîne sur les touches du clavier.  

- Heu ... Simone, me dit tranquillement Caliel, je pense que ce gros type essaie de supprimer la vidéo.

Je sens la rage monter en moi. Le seul indice que j'ai en ma possession risque de disparaître pour de bon ! Il en est hors de question ! Il faut que je stoppe ce gros bonhomme, par tous les moyens. 

Je tente de le repousser de toutes mes forces mais je ne fais que passer et repasser à travers lui. Je tente de lui balancer la chaise sur son dos mais le double de celle-ci me reste collée entre les mains. 

Il faut que je me concentre ! J'écoute cette colère qui gronde de plus en plus fort, je n'ai plus qu'à la laisser s'exprimer et dans un mouvement mal organisé (je débute après tout), je balance tout ce qui se trouve sur le bureau par terre. Le gros informaticien sursaute et recule de frayeur en voyant tout un tas de feuilles, de stylos et de dictionnaires éparpillés sur le sol. Dans ses yeux, j'y lis l'incompréhension et la terreur qui les font s'exorbiter.

L'homme porte la main à son cœur et commence à suffoquer. Il n'arrive plus à respirer. Il tombe à genoux, toujours la main sur le cœur et au bout de quelques secondes, il s'écroule. Face contre terre. 

- Merde ! Caliel ... Je l'ai tué. 

Je suis tétanisée. Qu'est-ce que j'ai fait ?! 

- Disons que tu as accéléré les choses avec ta démonstration de poltergeist mais son cœur devait déjà être fragilisé, au vu de sa corpulence. C'est plutôt les kilos de malbouffe avalés au fil des années qui sont à l'origine de tout ça. 

- Mais non, j'en suis l'origine. C'est moi qui lui ai fait peur ! 

- T'inquiète pas trop, Simone ! Me rassure Caliel, tant bien que mal. Quelqu'un aurait pu surgir en criant devant lui que le résultat aurait été le même. 

Un scintillement s'illumine autour du corps de l'informaticien, au fur et à mesure que l'on discute. 

- Simone ? C'est toi ? 

Tout est possible quand on est mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant