Chapitre 1

707 97 100
                                    

- Bon anniversaire !

Les voix joyeuses résonnent autour de moi tandis que j'observe les deux bougies surmontant l'énorme gâteau au chocolat qui se trouve devant moi. Deux chandelles en forme de cinq placées l'une à côté de l'autre. Mon âge me frappe comme un coup de poing en pleine gueule.

Je ne me suis pas vu vieillir.

Si mon corps me fait parfois ressentir l'effet du temps, dans ma tête j'avais toujours vingt ans. Jusqu'à aujourd'hui. Ces deux machins en cire blanche me rappellent à quel point j'ai pu me voiler la face. Soudain, j'ai mal au dos et aux guibolles.

- Allez, Titi, t'es encore jeune, s'exclame mon ami Philippe en me tapant sur l'épaule.

Je ronchonne pour toute réponse et enlève les bougies du dessert pour pouvoir m'en couper une bonne grosse part. Je ne vais pas me laisser abattre par un putain de chiffre et je vais dévorer ce gâteau et faire la fête jusqu'au bout de la nuit.

Un couteau apparait devant mes yeux et je m'en saisis afin de trancher des portions plus ou moins égales que je distribue aux convives. Une fois fait, je porte mon attention sur mes amis, réunis aujourd'hui pour l'occasion. Philippe, mon ancien amant, est assis à ma droite. Ses cheveux gris un peu trop longs lui tombent sur le front et lui procurent cet air de perpétuel adolescent qui lui colle à la peau, malgré ses presque soixante ans. Son teint mat d'avoir été gorgée de soleil cet été me donne soudain envie de la lécher et je pique un fard en déviant mon regard vers Olivier, son nouveau partenaire - ou devrais-je dire son jouet. Philippe n'a jamais été du style à se poser, je l'ai découvert à mes dépens alors que j'imaginais que nous allions nous installer ensemble et vivre une paisible et belle vie à deux. Quand mes pieds - et mon cul - ont touché terre avec violence, j'ai mis un certain temps à m'en relever, mais Phil est si attachant que je n'ai pas pu me résoudre à le sortir de mon existence. Il est devenu mon meilleur ami, un pilier sans lequel je ne serais pas grand-chose.

Je ne m'attarderai pas sur Olivier, car je sais très bien qu'il ne restera pas parmi nous bien longtemps. Face à moi, Isabelle me couve de ses grands yeux de biche. Ses cheveux blonds, coupés courts depuis peu partent dans tous les sens et sa bouche carmin m'offre un sourire qui me ferait presque changer de bord. Son épouse, Carole, assise à ses côtés, est une petite femme rondelette dont les doigts sont tous, sans exception, ornés de bagues si grosses qu'on ne voit presque plus ses phalanges. Sa tignasse est retenue en un chignon flou dont des mèches s'échappent et dégringolent sur son visage et sa nuque. Le regard qu'elle pose sur sa compagne ferait pâlir de jalousie quiconque serait à la recherche de l'amour. Moi y compris.

Enfin, il y a Luc, le seul hétéro de notre groupe. C'est notre exception à nous. Ce veuf, père de trois enfants nous a rejoint quand il a appris l'homosexualité de l'un de ses fils. Il avait besoin de parler, peut-être même de comprendre et il a intégré notre bande, pour ne plus jamais en partir.

Nous faisons tous en effet partie d'une association de soutien aux jeunes LGBT+ qui n'ont pas de réponse à leurs questions ou sont virés de chez eux quand ils font leur coming out. Nous sommes là pour les aider à se sortir de leur désœuvrement et tenter de trouver des solutions à leurs soucis.

Nous nous connaissons donc depuis des lustres. Philippe et moi nous sommes rencontrés quand nous avions une vingtaine d'années, durant nos études. Très vite nous sommes devenus un couple et avons décidé de fonder cette association. Isabelle nous a rejoints puis Carole est arrivée et enfin Luc il y a une petite dizaine d'années. Depuis, nous avons laissé les rênes à des jeunes qui apportent de la nouveauté et des actions différentes, mais nous gardons un œil sur eux et sur notre bébé.

- À quoi songes-tu ? me demande soudain Isabelle.

Je me rends alors compte que je suis le seul à ne pas avoir touché à mon gâteau. Je secoue la tête tandis que les prunelles de tous mes amis se braquent sur moi et tente un sourire.

Tourner la pageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant