Chapitre 7

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Olivier se tient bien droit à l'autre bout de la pièce, une tasse de thé en main. À ses côtés, Philippe semble absorbé par son téléphone. En appui sur le mur, les chevilles croisées, il a tout d'un ado qui n'a aucune envie d'être là. J'ai toujours admiré cette nonchalance qui lui est propre. Je lui ai même enviée quelques fois. Mais pas aujourd'hui, car il a l'air de s'emmerder plus qu'autre chose.

Il s'emmerde à côté d'un homme avec qui il ne partage rien à part un lit. Il s'est emmerdé ces trente dernières années, pensant sans doute qu'il avait trouvé le bonheur dans cette existence sans attache, sans personne pour l'empêcher de vivre comme il le voulait. Mais qu'a-t-il fait ? À quelques années de la retraite, quel est son constat ? Il n'est jamais parti découvrir le monde, comme il le souhaitait. Je me souviens que son rêve était de voyager, rencontrer des gens, côtoyer de nouvelles cultures. Au lieu de cela, il est resté à Tours, s'est investi dans l'asso, a travaillé comme un dingue et a enchainé les conquêtes, comme pour étouffer un manque.

Je ne m'en rends compte que maintenant.

Philippe relève les yeux vers moi, comme s'il avait senti mon regard, et braque ses iris dans les miens. Durant quelques instants, ce lien puissant entre nous se met en place, effaçant ce qui nous entoure. Il n'y a plus personne dans la pièce. Olivier a disparu. La voix d'Isabelle qui surpassait toutes les autres est à présent inaudible. Les invités remplissant le local de l'asso se sont volatilisés. Philippe est le seul être vivant sur terre. Ses yeux bruns me scrutent, me terrassent, me donnent envie de tout laisser tomber pour lui.

Puis il tourne le visage vers sa droite. Olivier refait surface. La magie disparaît, comme si ce moment n'avait jamais existé. Olivier l'embrasse à pleine bouche puis me lance un regard appuyé, comme pour marquer son territoire. Mais il a quel âge, ce type ?

Je secoue la tête et reporte mon attention sur la conversation qui se déroule à mes côtés. Isabelle, une assiette de gâteaux en main, s'agace sur les dernières frasques de Trump et ses tweets abjects à propos du mouvement Me Too. Je tente de me concentrer sur ce qu'elle dit, mais ses mots n'atteignent pas mon cerveau. Le comportement du bouffon qui sert de copain à Philippe me reste en travers de la gorge.

— Alors, Thierry, ça fait plaisir de te voir ici.

Je me tourne vers Luc qui m'offre un grand sourire. Son fils et le petit ami de ce dernier l'ont accompagné et discute un peu plus loin avec des gamins, venus pour se renseigner. Nous sommes en effet présents à l'occasion d'une journée portes ouvertes. Nous accueillons pas mal de monde cherchant des réponses à leurs interrogations, ou juste curieux de nous rencontrer et d'en savoir plus sur ce que nous proposons. Parfois, je rêve que plus personne n'ait besoin de nous. Que tout un chacun puisse être qui il veut, et aimer qui il désire sans être ennuyé.

— Ça va, répliqué-je à mon ami. Un peu fatigué.

— Tu es sorti hier soir ?

— Non, mais je n'ai pas bien dormi. Enfin, ça passera. Et toi, la pêche ?

— Oui, je pète la forme. Alors, vous avez trouvé un cadeau pour Philippe ?

Je fronce le nez en me rappelant cette matinée shopping infructueuse.

— Non, Isabelle m'a traîné chez un brocanteur, mais rien n'a retenu notre attention.

— Je pensais à des vinyles, propose-t-il alors.

C'est pas con. Philippe est un mordu de musique. Il aime tout, du classique au hard rock. Ce n'est pas très original, mais ça pourra faire l'affaire.

— Pourquoi pas ?

— Tu veux que je m'en occupe ?

— J'irai lundi, je ne travaille pas.

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