Chapitre 1

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Le jeune homme arrête sa course en gémissant, une main plaquée sur son flanc, où une tâche de sang s'élargit, imbibant sa chemise. Sans réfléchir, il s'engouffre dans une allée sans lumière. Il titube et se raccroche au mur de sa main libre. Les bruits de pas derrière lui s'accélèrent, se rapprochent et il reprend sa course avant de réaliser que les lieux sont déserts et qu'il s'éloigne de l'artère principale.

- Ce n'est pas réel ! Rien de tout ceci n'est réel.

Il répète en bredouillant, comme un mantra, les mots de sa psychiatre lorsqu'elle lui expliquait ses crises de panique.

L'anxiété est un état tout à fait normal Sandro, elle nous permet à tous d'augmenter nos performances, de nous rendre plus réactif. Dans votre cas, et cela arrive à de nombreuses autres personnes, vous n'avez aucune raison d'en avoir honte, l'anxiété devient tellement envahissante et incontrôlable que c'est l'effet inverse qui se produit.

Cette chère docteur Lorca ne pouvait avoir plus raison. Sandro reconnait l'arrivée de la crise à l'accélération incontrôlable des battements de son cœur, accompagnée de tremblements et transpiration. Ce n'est pas le moment, jure-t-il tout en s'avançant dans l'allée sombre, sa main tremblante toujours appuyée sur le mur pour l'aider à rester sur pieds.

Une personne dans votre condition, au lieu de se sentir galvanisée et motivée par l'angoisse, va faire preuve de réactions extrêmes comme des peurs déraisonnées, celle d'une mort imminente ou l'impression de devenir fou.

Peut-être qu'il devient effectivement fou car malgré la situation, Sandro éclate de rire, une hilarité aussitôt suivie de sanglots et de larmes coulant sur ses joues. Bien sur docteur, ricane-t-il intérieurement, c'est complètement déraisonné de penser à la mort alors que quelqu'un vient d'enfoncer une lame de couteau dans mon ventre et que je me vide de mon sang. Et comment ne pas penser devenir fou en repensant à cet homme ?

Mais peut-il vraiment le qualifier d'homme ? Sandro ne l'a aperçu que quelques secondes à la lumière d'un lampadaire au moment où il lui est tombé dessus, mais son agresseur n'avait rien d'humain. Il en avait la silhouette et les vêtements mais le garçon frissonne en repensant à sa bouche béante, ouverte sur deux rangées de petites dents acérées et pointues, comme la dentition d'un requin. Sa peau pâle, blanche comme de la craie, rayonnait sous la lune et ses yeux argentés, mouvants et brillants, ressemblaient à des billes de mercure.

Sauf que tout ça n'est pas réel, tente de se convaincre Sandro. Tout ça fait partie d'une hallucination.

Sa chemise imbibée de sang n'a rien d'une hallucination pourtant.

- Je ne comprends rien, sanglote Sandro.

Sa main quitte son flanc et monte vers sa poitrine, comme si elle pouvait calmer la sensation d'étouffement et les douleurs dans son torse, les mêmes que si une main gigantesque et invisible resserrait sa poigne autour de ses côtes, pour les briser et se refermer sur son cœur.

Sandro tente de se ressaisir. Ce n'est pas le moment de rester catatonique. Qu'est-ce que Bryn ferait dans une pareille situation ? Le jeune homme a presque l'impression d'entendre la voix de son amie le rudoyer. Rends les coups ! Evidement ... Bryn rend toujours coup pour coup.

Mon téléphone ! La main de Sandro palpe les poches de son pantalon et les trouve vides. Il essaye de se souvenir s'il se trouvait dans le sac qu'il a fait tomber au moment où il a prit la fuite devant son agresseur. Un violent bourdonnement aigu se met à résonner dans ses tempes, lui fait perdre le fil de ses pensées et le fait trébucher. Sa course désorientée est interrompue par une soudaine envie de vomir. Il a envie de crier à l'aide, de hurler mais il reste désespérément muet ; sa gorge est tellement serrée et douloureuse qu'aucun son ne peut la franchir.

Le roi des féesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant