Chapitre 6

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Sandro se retrouve dans un long corridor plongé dans la pénombre. La stupeur passée, il fait un tour sur lui-même pour découvrir les lieux. D'un côté, des baies vitrées battues par la pluie, qui donnent sur un patio intérieur ; en regardant à travers, le jeune homme réalise qu'il se trouve à un étage, le deuxième ou troisième des lieux. A l'extérieur, le rez-de-chaussée lui est invisible, son regard n'arrive pas à percer ni l'obscurité ni les intempéries. En face des baies vitrées, une enfilade de pièces dont les portes sont toutes fermées. De chaque côté du couloir, des escaliers qui disparaissent dans un coude ; vers l'étage supérieur d'un côté, inférieur de l'autre.

Le cœur battant, le jeune homme réalise que ces lieux lui sont familiers. Mais même en creusant sa mémoire, il n'arrive pas à savoir d'où il les connaît. Le grincement du plancher le fait sursauter et il se tourne immédiatement vers l'escalier qui descend de l'étage supérieur, d'où le bruit lui parvient. Son cœur bat la chamade alors que le parquet continue de craquer sous les pas des inconnus qui se rapprochent. Puis une femme apparaît dans le corridor. Sandro se fige tandis qu'elle observe l'espace d'un air inquiet. Sa main tendue en arrière, elle indique à ceux qui la suivent de rester à couvert, invisibles dans la cage d'escalier. Sandro s'arrête sur sa tenue, qui lui semble d'une autre époque, une veste croisée verte, resserrée à la taille par une fine bande de cuire, un pantalon écru ample, qui disparait sous des bandes de toiles entourant ses mollets, retenues par une fibule dorée et des bottines de cuir.

Son regard inquiet est fixé vers les escaliers opposés mais la femme ne semble pas voir Sandro, qui se tient pourtant devant elle. Elle retient son souffle, reste immobile et après quelques secondes, elle tourne la tête en arrière et chuchote des mots que Sandro ne peut entendre. Quand son compagnon tourne au coin du corridor et la rejoint, le jeune homme ne peut retenir un cri de surprise. Il se plaque aussitôt les mains sur la bouche mais les deux individus ne semblent pas l'avoir entendu et ne réagissent pas à son exclamation.

Un rêve, c'est un rêve, pense aussitôt Sandro. Ou plutôt un souvenir.

Car l'homme qui vient de tourner à l'angle du corridor n'est autre que son père ; mais pas tel que Sandro s'en souvient ; une version bien plus jeune, au moins vingt ans plus jeune. Il n'a aucune des rides dont Sandro se souvient, ni les cheveux blancs à ses tempes. Comme sa compagne, il porte des vêtements étranges, une chemise ample en coton blanc, retenue à la taille par une large ceinture de cuir dont des lacets font office de fermoir, un pantalon droit en coton bleu qui disparaît aux genoux dans des bottes montantes en cuir, aux larges bords rabattus sur ses mollets.

Sandro ouvre brusquement les yeux en criant. Les Dominations, l'attaque chez Démétrios ... Papa ! Les évènements lui reviennent aussitôt en mémoire et il se dresse comme un ressort aussitôt retenu par un poids pesant sur ses jambes. Virgile est recroquevillé contre lui, ses jambes entremêlées aux siennes, les bras repliés contre sa poitrine, ses poings serrés sous son cou. Le jeune homme frissonne, encore inconscient, la peau grêlée de chair de poule. Sandro se redresse sur un coude. Sidh ! Il lève les yeux et tourne la tête autour de lui. La voûte céleste est encore sombre, un bleu presque violet et quelques étoiles percent encore le ciel. Les premières lueurs de l'aube commencent à dessiner les contours du paysage, une vaste plaine vallonnée, des massifs d'arbres au loin, formant comme un théâtre d'ombre sur la fine ligne lumineuse qui grandit à l'horizon, grise tout d'abord puis d'un blanc laiteux et rapidement de plus en plus brillante et chaude, la multitude de roses précédant une variété de rouges et d'or.

Sandro aperçoit alors une silhouette accroupie non loin, leur tournant le dos. Bryn ! La jeune femme marmonne et une lumière grandit devant elle puis s'élève dans le ciel, vive et brève comme un feu d'artifice, avant de disparaître. Puis Bryn se retourne vers son ami et lui sourit.

Le roi des féesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant