Le roi des fées

Chapitre 10

Le banquet en l'honneur des invités est installé dans la cour encadrée par le bâtiment principal où les trois amis sont hébergés, par des granges de stockages et d'abris pour les animaux et par deux autres bâtiments qui servent de bains publics et d'habitation ; des champs agricoles, des jardins cultivés et des bois à perte de vue entourent le domaine. Un très vieux chêne pousse au milieu de la cour, ses racines déforment le sol autour de l'imposant tronc, formant un tapis de creux et de bosses qui s'écartent tout autour de l'arbre.

Entre les tables, des braseros montés sur de hauts pieds de cuivre, éclairent les lieux, plus utiles pour la lumière que pour la chaleur, superflue pour cette douce soirée.

Plusieurs fées saluent le maître des lieux et ses invités, tout en portant à table des larges plateaux de fruits confits, secs ou frais, des figues, des raisins, des citrons et des poires, des assiettes de noix et d'amandes grillées et caramélisées, des plats remplis de tourtes et de chaussons farcies aux œufs, aux fruits et aux légumes. Des brocs métalliques débordent de bières et de vins amers, adoucis par les épices, poivre noir, safran et gingembre.

Un grand foyer s'élève vers le ciel déjà noir et piqué d'étoiles lumineuses et plusieurs fées s'y affairent, gérant la cuisson sur broches de petites volailles, accrochant et décrochant des chaudrons et marmites pleines de soupes et de gruau à des trépieds placés au-dessus des braises.

Toutes les fées se tournent vers les trois terriens dès leur arrivée dans la cour, ce qui embarrasse Sandro. Tous ces regards – dont certains du même aspect de métal liquide, l'aspect des yeux de Lysandre mais aussi des Dominations qui les ont attaqués sur Terre – braqués sur lui, ces individus qui se penchent l'un vers l'autre pour chuchoter lui font redouter une nouvelle crise d'angoisse et il piétine nerveusement sur place, tête baissée. La main rassurante de Virgile se pose aussitôt dans son dos, juste une pression suffisante pour que Sandro se calme.

D'une voix puissante, Lysandre présente ses invités en langage faëlique et les fées retournent vaquer à leurs occupations.

Dans un premier temps prévenant et attentionné, Virgile ne quitte Sandro que pour faire des allers retours entre leurs places assises et le buffet, pour lui rapporter des assiettes pleines, sous l'œil curieux de Bryn. Puis le repas passe et les enfants du domaine, timides et peu nombreux au début, s'enhardissent et s'agglutinent autour de Virgile ; ils se glissent sous le banc pour l'atteindre, montent sur ses genoux pour glisser leurs mains minuscules dans les siennes, l'escaladent et grimpent sur ses épaules, le tirent par la main pour le faire se mettre debout puis s'éparpillent en hurlant de joie en réalisant sa taille. Sous leur insistance, Virgile quitte finalement sa place assise, ce qui provoque des cris de joies et des rires et aussitôt, les enfants se ruent sur lui, s'accrochent à lui comme une grappe de raisin et l'entraînent avec eux.

Bryn et Sandro se tournent sur leur banc, adossés à la table pour le regarder être traîné d'un coin à l'autre de la cour par le groupe de bambins. Malgré la distance et l'obscurité, leurs regards se croisent et Sandro devine qu'à travers la cour, à travers la foule, même assaillis par une ribambelle de gamins rieurs, c'est lui qu'il cherche. Son ventre se creuse, son cœur s'accélère. Le jeune homme repense en frissonnant à la douceur de ses lèvres et passe un doigt sur les siennes, comme s'il pouvait y retrouver la trace de sa bouche, l'humidité de sa salive, la caresse de sa langue. Perdu dans sa contemplation et dans ses pensées, le garçon ne remarque pas les regards que lui lance son amie. Celle-ci l'observe longuement, son regard va et vient entre Virgile, trainé d'un côté à l'autre par les enfants et Sandro, immobile, incapable de détacher son regard de leur compagnon. La jeune femme se racle finalement la gorge pour attirer son attention – sans effet évidemment – puis lui donne un coup d'épaule.