Chapitre 1 : Aarys

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Lysa n'était pas en veine ce soir. Elle avait commencé à déambuler dans les rues d'Aarys depuis le début d'après-midi mais presque aucun homme n'avait succombé à ses charmes et accepté de passer un moment avec elle. Depuis que La Chambre Écarlate avait ouvert ses portes dans le centre de la ville, le nombre de ses clients avait considérablement baissé. Lysa ne pouvait concurrencer ce nouveau bordel qui proposait un grand nombre de filles aux âges et aux physiques très différents pour allécher même le plus exigeant des clients. L'établissement se targuait de pouvoir fournir de très jeunes femmes – bien plus jeunes que Lysa qui n'avait pourtant que 17 ans – à des prix plus qu'attractifs et à la propreté irréprochable. De plus, le bâtiment était rempli de chambres pour garantir le confort des clients et c'était autre chose que les ruelles sombres et sales dans lesquelles Lysa avait l'habitude d'emmener ses clients pour leurs « petites affaires ». Pas étonnant donc qu'à la tombée de la nuit, les hommes préfèrent se glisser dans l'étreinte chaude d'une putain parfumée et d'une chambre propre plutôt qu'entre les jambes d'un petit souillon vivant entre les flaques de boue et d'urine des bas-fonds.

Un seul de ses clients n'avait pas succombé à l'attrait de cette nouveauté et continuait de venir réclamer ses services régulièrement. Il s'agissait du vieux Ugau La Ganache qui venait la voir tous les mardis quand sa femme partait voir ses parents dans le village d'à côté. Mais celui-ci ne lui avait donné que quelques drachmes, rien qui ne lui permettrait d'avoir un diner conséquent.

Ugau La Ganache n'était pas vieux à proprement parler, le bonhomme n'atteignait qu'à peine la cinquantaine, mais le travail dans la mine l'avait fait vieillir prématurément et lui donnait l'apparence d'un vieillard tassé et souffreteux. Il ne pouvait pas formuler de phrase sans être pris de quintes de toux grasses et glaireuses. C'est au cours d'une soirée un peu trop arrosée que l'un des habitués du bar de la ville, l'avait interpellé par ce surnom avant de s'esclaffer devant sa trouvaille. On raconte que, étant déjà soulé de bière, ce serait cette blague qui avait achevé le bougre alors qu'il s'étouffait de rire. Les habitants de la ville ayant trouvé cette anecdote particulièrement amusante, Ugau était donc devenu La Ganache. Malheureusement, cela ne l'avait rendu ni plus aimable, ni plus généreux, au grand dam de Lysa qui dormirait une nouvelle fois le ventre vide.

C'est donc entièrement soumise à ses ruminations qu'elle vit sa soirée devenir soudainement plus agréable lorsqu'elle aperçut l'homme encapuchonné qui arrivait du Nord de la ville. Les voyageurs étaient peu nombreux à passer par ici, mais Lysa avait remarqué qu'ils donnaient davantage, fatigués et heureux de retrouver l'entrecuisse chaude d'une femme après des jours passés sur les routes sans autre compagnie que les animaux sauvages. De plus, ceux-là n'étaient pas au courant du bordel en centre-ville et se contentait généralement de choisir la première occasion qui se présentait à eux.

Si Lysa avait eu un peu de jugeote, elle aurait su qu'aucun étranger ne venait jamais du Nord. Aarys se trouvait à l'embouchure du passage de Dimrok qui menait tout droit au désert Ourobos et personne ne se risquait jamais dans ce lieu que l'on disait maudit car tous ceux qui avait tenté de le traverser n'en était jamais revenu. Elle aurait alors su qu'il était préférable de ne pas s'approcher d'un tel homme. Mais Lysa n'était pas très maline et les grognements de son ventre étaient la seule chose qui lui importait.

L'homme marchait d'un pas affirmé comme s'il savait parfaitement où se rendre. Elle n'apercevait pas son visage, dissimulé sous la sombre capuche, mais elle devinait facilement à démarche énergique qu'il était jeune. Encore mieux, pensa-t-elle. Les jeunes hommes étaient bien plus aisément manipulables et elle pourrait en tirer une belle somme. Elle en frémissait d'avance.

Elle sortit du porche sous lequel elle s'était abritée de la fine bruine qui s'était mise à tomber quelques minutes plus tôt et s'avança dans la rue boueuse pour intercepter sa proie.

L'ombre du désertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant