👑CHAPITRE 22 📱

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Au fond, je me demande s'il est possible d'avoir l'esprit vide. Complètement blanc. Sans pensées, sans questionnement quelconque, sans répétition de paroles insensées, sans images défilant tel un film de mauvais goût. Un esprit épuré de toutes sortes de pensées. J'aurai avoir un tel esprit, je crois. Ne pas penser au jeu, faire abstraction de cette désagréable et horripilante sensation que d'être constamment observée, ne pas m'emballer aux moindres mots et promesses du Duc. Mais à quinze ans, alors que tout notre corps est en ébullition, notre tête elle, est en tête de file. Toujours au travail. Néanmoins, je ne me trouve guère dans une position pouvant se prêter ainsi à la confusion ou à la rêverie. Au vue de ce que nous venons de traverser, il serait peut-être même préférable que je sois pleinement concentrée, attentive à mes alentours, constamment en alerte, mais j'en suis bien incapable car pour une raison qui m'échappe en partie, je dirais que je suis à mille lieu du jeu depuis que nous avons mit un pied à Celestia.

- Votre Altesse est-elle fatiguée et souhaite-elle faire une courte pause ? me propose le Duc certainement en constant non sans difficulté que mon allure a grandement diminuée.

Je ne suis pas certaine que ce soit d'une pause dont j'ai besoin. J'ai besoin d'une distraction, quelque chose, n'importe quoi qui permettra à mon esprit de s'échapper des pensées que j'ai actuellement.

Malgré toute la détermination et la volonté que je puisse mettre dans le simple fait de vouloir remporter le Ruler Game, une part de moi est dans la restriction, l'attente. Si je gagne, cela ne voudrait-il pas dire que je deviendrais Reine ? Cela ne voudrait-il pas dire que je devrais gouverner avec une personne à mes côtés ? Il y a tant d'aspects que j'ai laissé de côté en me disant que j'aurai à y penser plus tard, mais en fait, c'est tout bonnement impossible. Si je veux gagner, je dois profiter de chaque instant, de chaque moment, de chaque occasion pour faire en sorte que le peuple vote pour moi et m'aime.

Le Duc a raison, je n'arriverais probablement à rien si je reste aussi bornée et campée sur mes positions. Je devrais faire quelque chose pour changer mon image et les faire m'apprécier. Mais quoi ? Comment ?

- Votre Altesse ?

Perdue dans mon propre flot de pensées, mon pied trébuche sur une des nombreuses racines se trouvant sur notre chemin depuis notre arrivée et il n'en fallut pas moins qu'un bout de bois pour mettre au sol si cela n'avait pas été pour la réaction du Duc se précipitant pour me rattraper de justesse.

- On devrait faire une pause, dit-il en regardant le Baron.

- Moi ça me va, de toute façon, rien ne sert de se précipiter.

Sans autorisation, il me prends dans ses bras et me pose sur un coin d'herbe éloigné de la boue et des racines tandis qu'à genoux, il s'adonne à la vérification de mes pieds.

- Ah. Vous avez plusieurs ampoules.

Mes yeux croisent les siens et sur l'instant, j'ai l'impression de n'être que spectatrice, incapable de lui répondre ou de réagir à quoi que ce soit. Il pourrait dire ce qu'il veut que je continuerais à le regarder ainsi comme s'il était la seule chose que j'étais en mesure de voir.

- Est-ce que vous vous sentez bien ? Vous me paraissez un peu pâle. Vous savez, il n'y a rien de mal à dire que vous avez besoin de souffler ou de vous arrêtez. Nous faisons cela à votre rythme, pas au nôtre.

- Je suis désolée.

- Pourquoi ?

- Je me sens inutile. C'est...frustrant.

Sortant une trousse de secours et laissant un soupire lui échappe, le Duc commence le traitement de mes ampoules sous mon regard avisé.

- Écoutez, je ne suis pas là pour juger, mais... vous n'êtes pas une super-héroïne Princesse. Vous êtes et avez pleinement le droit d'être une jeune fille de quinze ans. Vous avez le droit de vous plaindre, le droit de nous dire que vous êtes fatigués, le droit de nous crier dessus car nous marchons trop vite. Vous n'avez pas notre passif. Vous êtes une Princesse. Valerian et moi avons eu un entraînement militaire.

- Le titre de Princesse fait-il de moi quelqu'un de particulièrement fragile ?

- Non, mais cela ne vous rends pas moins humaine. Il n'y a rien de plus humain que de se plaindre.

Je ne sais pas si c'est le propre des humains que de se plaindre. Je dirais que oui malgré le fait que nous avons une impressionnante capacité de résilience. Malgré tout, je n'ai pas envie d'être un poids pour eux. Ni pour eux, ni pour mon Royaume. Quel genre de souverain en aurait marre parce qu'il a quatre pauvres petites ampoules aux pieds ? Est-ce là l'image que je veux donner ?

- Vous êtes doués, souligné-je en le voyant s'appliquer avec soins.

- C'est gentil, rit-il en me levant brièvement les yeux vers moi, c'est devenu une habitude.

- De soigner les gens ?

- De prendre soin des gens plutôt.

- Quelle différence faites-vous à cela ?

- Il n'y a pas que les plaies physiques qui blessent, mais je présume que je n'apprends rien à Son Altesse. De plus «prendre soin de quelqu'un» englobe d'autres... paramètres disons.

- Comme par exemple ?

- Je peux m'occuper de vos ampoules, certes, ainsi je vous aurai soigné. Mais je peux également vous prendre sur mon dos pour éviter que vous ne vous fatiguiez trop. Je ne veux pas paraître réducteur, Votre Altesse, mais la réalité est là. Vous marchez depuis des heures dans une tenue non appropriée, sur un territoire inconnu qui n'a rien de très praticable. En outre et je peux peut-être me montrer blessant en avançant ce fait mais vous êtes une fille. Une jeune fille. Nous sommes deux hommes. Votre cadence n'est pas la même. Il vous faudrait faire trois pas, pour rattraper un seul des nôtres.

Je le vois à son regard qui se veut prudent, qu'il s'aventure ainsi en terrain glissant. Peut-être le Duc Owen a-t-il peur de me vexer en avançant un fait tout à fait avéré, mais j'ai moi-même pris conscience de la difficulté que j'avais à pouvoir les suivre pleinement. Ils allaient bien trop vite pour moi. Jamais encore je n'avais autant marché en dehors du Palais ou même en ville. Jamais encore je ne m'étais aventurée aussi loin et dans un tel endroit. Tout ceci est une immense première fois et peut-être que mon égo parlait pour moi en pensant que j'aurai été capable de m'adapter immédiatement à mon environnement. Peut-être ai-je lu trop de livres ou vue bien trop de films.

Au fond, je n'ai été que la bonne petite princesse naïve.

- Vous avez raison. Mais je ne veux pas être un poids.

- Vous n'en serez jamais un. Je pense qu'il est de mon devoir de vous rappeler que ni le Baron, ni moi-même avons ce genre de pensées à votre égard. J'ai encore beaucoup à apprendre sur vous Princesse et j'espère que ces trois mois à venir vont me le permettre, mais sachez que jamais ô grand jamais, je ne me suis permis d'avoir un tel jugement à votre égard. D'ailleurs, il serait fous de voir en vous un poids tant vous m'avez démontré être d'une intelligence particulièrement brillante.

- Bien que votre compliment me touche Duc, il n'y a rien de brillant à réfléchir par soi-même en dehors des machines qui nous entoure. Les gens ont juste perdu cette habitude c'est tout.

- Il y a réflexion et réflexion et ne vous dénigrez pas, vous avez une façon de penser, de percevoir et d'agir remarquable.

Un sourire de gratitude se dresse naturellement sur mon visage tandis que le Duc se trouve toujours à genoux devant moi finissant sa tâche du moment.

- Il me semble que c'est la première fois qu'on me complimente autant. Chercheriez-vous à me séduire Duc Owen de Norlia ?

- Je n'en sais rien, à vous de me le dire. Êtes-vous séduite Princesse ?

Je présume que je le suis un tout petit peu. 

The Ruler Game - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant