👑CHAPITRE 36 📱

587 138 1
                                    

Pas un mot. Je me suis contentée de regarder les hommes de Robin emmener Owen tandis que je suis restée au milieu de nulle part, plantée comme un piquet sous un lampadaire près à passer l'arme à gauche à tout moment. Je regrette mon geste et je sais que ce dernier aura des conséquences, j'en ai conscience, mais sur l'instant ça m'a fait du bien. Tellement bien. Lui tirer dessus, le voir se tordre de douleurs sur le coup, voir son corps convulser à cause de la décharge...j'ai éprouvé comme un bref soulagement. Néanmoins n'avais-je pas tiré sur lui parce que sur l'instant je lui associais tout ce que je détestais ? Ma sœur. Le goût amer de la trahison. Je présume que si. En grande partie il n'a été que le réceptacle d'un sentiment qui gronde en moi depuis bien trop longtemps et que je peine à contenir. Peut-être aurais-je dû l'écouter. Peut-être aurais-je eu le fin mot de l'histoire ou tout du moins son commencement ? Je n'en sais strictement rien et honnêtement c'est ce doute perpétuel qui sème en moi un tel désordre.

- Est-ce que ça va aller ? m'interroge Robin en revenant vers moi en compagnie de Rex

- Je présume ? A dire vrai, je n'en sais rien, mais je vais le découvrir.

- Ce n'est pas rien ce qu'il vient de se passer.

- Alors nous garderons ça pour nous. Les drones ne filment pas à la nuit tombée.

- Une chance pour vous, non ?

- Tout à fait entre nous, la chance, c'est un élément qui m'est parfaitement inconnu.

Je n'y crois pas et je ne pense pas qu'elle existe. Si j'avais ne serait-ce qu'un soupçon de chance alors je ne me serais pas retrouvée ici. Je n'aurai pas à me battre avec tout ce que j'ai dans la tête ou dans le cœur bien que cela revienne à la même chose car le cœur n'est qu'un organe qui pompe rien de plus. Personne ne pense avec son cœur. Personne ne ressent avec ce dernier. Tout est dans notre tête. C'est elle la principale fautive. Elle qui nous rends aveugle au moment où on a le plus besoin de voir.

- Bon. Nous devrions nous mettre en route, nous avons assez perdu de temps en futilité, signalé-je.

Prenant le chemin des bois se trouvant derrière le village, Rex et moi échangeons un bref regard avant de nous muer tous deux dans un silence de mort. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'entendre le son de sa voix et tout me laisse à croire que cet homme n'est pas du genre à faire la conversation. Quelque part, il semble être le partenaire parfait. Je n'aurais pas à parler de ce qu'il s'est passé, il ne posera pas de questions et je suis presque certaine que tout comme la majorité des villageois, il me déteste.

Cependant, pour un homme de sa stature, il marche étrangement lentement et je ne sais pas si c'est en considération pour moi qui peine à le suivre dans ses grandes enjambées ou si c'est tout simplement pour ne pas faire de bruit. Je n'en ai pas la moindre idée, mais que ce soit l'une ou l'autre, je l'en remercie. La forêt en pleine nuit est complètement noire et j'éprouve de grandes difficultés à mettre ne serait-ce qu'un pied devant l'autre craignant constamment de tomber en mettant le pied dans une crevasse, un trou ou juste en trébuchant sur une racine passant par là.

Avant de quitter le village, Robin nous a donné des lampes datant probablement d'avant ma naissance car le système dynamo n'existe plus depuis bien longtemps et un sac dans lequel se trouve je cite «Les premières nécessités». Quant à moi, j'ai gardé accrochée à ma ceinture l'arme paralysante du Duc. Au cas où.

Malgré le plan établit préalablement, mon angoisse monte à chacun de mes pas. Ma respiration est de plus en plus forte. Mes mains de plus en plus moites. L'absence d'Owen se fait grandement ressentir car je me rends compte que sa simple présence suffisait à me rassurer. Étrangement, à ses côtés je n'avais pas peur. En fait, je n'ai jamais eu peur tant qu'il était là parce que je savais...je savais qu'au besoin il serait là. Je savais que je pouvais compter sur lui et je...ah...c'est donc ça. Inconsciemment en ayant conscience de son image de «protecteur» ou de «sauveur», j'ai volontairement pris des risques parce qu'une part de moi savait que quoi qu'il pouvait m'arriver, il interviendrait. Il viendrait pour moi, pour m'aider, pour me tendre la main. Mais là, qui le fera ? L'inconnu derrière lequel je marche depuis une bonne demie heure ? Ce même homme qui n'a visiblement pas envie de reconnaître mon existence car depuis que nous sommes partis, il ne m'a pas jeté un seul regard. Pas une seule fois il ne s'est retourné pour vérifier que j'étais bien là. Derrière. Il avance.

Et moi, bêtement, je le suis. Je le suis en tâchant de dissimuler que la peur me gagne. Je le suis en tâchant de maintenir mon visage de façade, celui plein d'assurance, de confiance, celui qui ne renonce pas. Celui qui existe pour jouer avec les apparences.

Marquant une pause, je m'arrête en le voyant figer tandis que d'un geste de la main, il m'informe de m'abstenir de tous mouvements. Son regard est fixer droit devant comme s'il y avait quelque chose. Là. Il y a quelque chose juste là. Tapis dans l'obscurité de la nuit. Dissimulé dans les feuillages. Il y a quelque chose.

Nous restons ainsi de longues minutes avant qu'il ne reprenne la marche.

- Qu'est-ce que c'était ? demandé-je alors soudainement rattrapée par ma curiosité maladive.

Aucune réponse. Bien sûr, j'aurai dû m'y attendre.

- Est-ce vrai que la région est peuplée de monstres ? Je veux dire...ce n'est pas qu'une légende que l'on raconte comme ça ? Juste pour maintenir les gens à l'écart ?

Un blanc.

Le voyant muet comme une tombe, un soupir m'échappe.

J'aurai sérieusement besoin que quelqu'un réponde un jour à la moindre petite question que je puisse poser, cela serait le bienvenue !

- Vous savez, je comprends que vous ne m'appréciez pas et que vous ne voulez même pas m'adresser la parole. A vrai dire, vous n'êtes pas la première personne à agir ainsi avec moi...ni même la dernière je crois. Mais sachez que j'essaye vraiment de bien faire ou tout du moins de faire ce qui me semble le mieux, le plus juste. Peut-être que pour vous, je ne suis qu'une enfant ou une tête couronnée de plus qui vient gâcher vos vies, mais je souhaiterais sincèrement que vous ne me voyez pas comme cela.

Pour une fois, j'aimerais ne pas être regardée de part mon statut. J'aimerais que l'on voit juste Magdalena. J'aimerais que l'on voit juste une jeune femme faisant de son mieux et pensant bien faire. Je ne dis pas que je serais en mesure de résoudre tous leurs problèmes, mais je souhaiterais sincèrement gagner la confiance de ces gens pour leur dire «Hé ! Voilà ce que je vaux». En fait, j'aimerais être traité comme un être humain normal, banal, à qui on accorderait enfin sa chance de faire ses preuves. A partir de là, je pourrais alors dire aux gens comme Ambrose ou bien le Duc «Je ne suis pas une petite fleur fragile que vous pouvez mettre sous cloche».

Comme tout le monde, je mérite que l'on me donne ma chance de briller.

The Ruler Game - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant