Dans l'ombre de Narcisse (BMR Edition)

Prologue

Cette fois, c'en est trop ! Ça ne peut plus continuer. Je suis arrivée au bout de ce que je suis capable d'endurer. Il faut que ça s'arrête, définitivement. Il ne changera jamais, j'en ai à présent la certitude. Toutes ces années, je me suis fourvoyée. J'ai fait ce que j'ai pu pour l'aider à vaincre ses démons et nous permettre de vivre une existence paisible. Aujourd'hui, je m'avoue vaincue. Je renonce.

— Tu vas le regretter, Livia, argue-t-il tandis que je ferme le coffre de ma voiture.

Son air supérieur et condescendant ne me manquera pas, pas plus que ses humiliations quotidiennes.

— La seule chose que je regrette, Marvin, c'est de t'avoir fait confiance quand tu prétendais vouloir changer.

Ses traits s'adoucissent dans une ultime tentative de me voir revenir en arrière.

— Mais je peux changer, ma douce. Avec ton aide, je sais que je vais y arriver !

Combien de fois ai-je entendu cette promesse ? Si, au début, j'y croyais, à présent, je sais que ce ne sont que de vils mensonges destinés à me persuader de rester à ses côtés malgré les tortures psychologiques qu'il m'inflige chaque jour.

— Non, c'est terminé. Je ne te dois plus rien. On se reverra le week-end prochain, quand tu viendras chercher les filles.

Un rictus moqueur étire sa bouche trop parfaite pour être sincère. Fut un temps où je la trouvais sexy et où j'aimais l'embrasser jusqu'à plus soif. J'ai appris, par la force des choses, que ces lèvres si magnifiques étaient capables de former des mots plus sales que le contenu d'une fosse septique.

— Tu n'y arriveras pas. Bientôt, tu viendras me supplier de te reprendre.

Je connais cette manœuvre dont il aime abuser. Il espère me mettre en colère dans le seul but d'écarter l'indifférence dont je fais désormais preuve à son égard. Habituée à ses entourloupes, je ne me laisse pas démonter et entre dans ma Clio sans un regard pour cet homme que j'ai pourtant aimé durant de longues années.

J'allume le moteur, qui ne suffit pas à masquer ses vociférations pleines de mépris.

— C'est ça, casse-toi, et n'oublie pas de dire à tes futurs plans-cul à quel point tu es frigide !

Je mentirais si je prétendais que ses quolibets ne m'atteignent pas. Avec le temps, j'ai appris à me construire une carapace de roc, mais celle-ci n'est pas aussi solide que je le souhaiterais.

Alors que je démarre, j'aperçois la silhouette de notre voisine qui n'a probablement rien dû manquer de nos adieux déchirants. Qu'importe, après tout. Ce n'est pas la première fois qu'elle l'entend crier des propos ignominieux à mon encontre. J'aimerais pouvoir affirmer que ses remarques cesseront suite à notre rupture, mais ce serait utopique. On ne se débarrasse pas si facilement d'un type comme Marvin. Que je le veuille ou non, mon existence sera toujours liée à la sienne à travers nos filles. J'aurais aimé l'expulser de ma vie pour ne plus jamais entendre parler de lui, mais je n'en ai pas le droit. Il me poursuivra quoi qu'il advienne car il est le géniteur des deux petits êtres qui comptent le plus pour moi et que je me dois de protéger de la folie destructrice de leur père.

J'enclenche la première en priant pour que ma route me conduise vers la paix et la guérison, même si je sais qu'elles seront durement gagnées. Des blessures infligées depuis des années ne peuvent pas disparaître du jour au lendemain, mais mon départ est en tout cas le premier pas sur la voie du bonheur.

Je quitte notre maison sans un regard en arrière.

Aucun regret. Aucun doute.

J'ai pris la bonne décision. Je m'enfuis pour empêcher sa noirceur dem'atteindre plus qu'elle ne l'a déjà fait. Je sais, en revanche, que ce n'estpas terminé et qu'il ne me laissera jamais en paix. Le pouvoir qu'il exerce surmoi est impressionnant ; il ne sera pas évident de m'en détacher.